page suivante »
l82 DEUX MOIS EN ESPAGNE frontière d'Espagne est une exception parmi celles qui en- tourent notre pays; ici, ce n'est plus nous qui avons déteint sur nos voisins, et le peuple espagnol, en dépit de nos conquêtes et de notre commerce, se retrouve encore dans les populations presque jusqu'aux portes de notre grande ville de Toulouse. Quand on regarde autour de soi, à Gironne, on trouve que tout a changé d'aspect depuis que l'on a quitté le centre de la France; mais on s'y fait bien vite, car si tout semble bizarre, rien n'y parait ni triste ni désagréable, sauf cepen- dant cette procession de mendiants drapés dans toutes sortes de guenilles, cortège que le voyageur rencontrera trop souvent dans ce pays pour qu'il attire longtemps son attention. Tout, autour de lui, a un air de vie, je dirais presque de fête : ce marché qui se tient à l'extrémité de la place où nous a déposé notre voiture a un entrain, un mouvement inconnu sur la frontière française. Ces costumes agrestes, bariolés des nuances de l'arc-en-ciel, jettent un décors d'opéra sur cette masse gesticulante, et poétise jus- qu'aux fèves et aux ciboules qu'elle y marchande. Etourdi par tout ce brouhaha et tout ce mouvement, on se demande quel si puissant intérêt fanatise toute cette population? Pourquoi ces clameurs, ces gestes menaçants? Pourquoi ces serrements de mains à disloquer l'omoplate? L'Espagne touche-t-elle à son dernier jour? Quel grand événement a lieu pour que ses citoyens se menacent de leurs poings fermés ou s'étouffent de leurs tendres accolades? Eh! mon Dieu non, il ne se passe rien qui vaille la peine d'être noté, et il s'agit simplement du prix d'une salade. Le voyageur est entré dans un pays plus chaud que celui qu'il habite, et quelques rayons de soleil de plus sont les seuls machi- nistes qui secouent si violemment toutes ces misérables marionnettes qui composent notre pauvre humanité, et