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g6 LE TESTAMENT D'UN LYONNAIS XVI Un des désagréments de la mort, qui en a beaucoup d'autres, c'est de mettre terme à notre insatiable curiosité, et spécialement à notre curiosité de l'avenir. Pourquoi faire l'homme plein de désirs, puisqu'il n'en peut satisfaire au- cun ? Tout nous appelle à la vie, et tout nous condamne à la mort. La nature, comme dit Bossuet, semble envieuse du bien qu'elle nous a fait. « Elle nous déclare souvent et nous fait signifier qu'elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu'elle nous prête, qui ne doit pas de- meurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternelle- ment dans le commerce : elle en a besoin pour d'autres formes, elle la redemande pour d'autres ouvrages. » Qu'elle nous ôte donc notre curiosité avec les moyens de la satis- faire ! Représentons-nous l'étonnement d'un membre de cette société du xvue siècle, bien plus éloignée encore de nous par la distance morale que par celle du temps — car cent ans ou mille ans n'est-ce pas exactement la même'chose pour ce qui a passé : le long et le court n'est point aux choses qui ne sont plus — l'étonnement d'un de ces hom- mes, s'il pouvait revenir parmi nous, voir notre société si différente de la sienne, assise sur de nouvelles bases, dispo- sée dans une nouvelle organisation, sans compter le chan- gement dans la physionomie extérieure des choses. Il verrait des villes où étaient des champs, des hommes vêtus de costumes pour lui étranges, parlant une langue où, sur trois mots, deux sonneraient sans pouvoir lui dire ce qu'ils représentent. Et je ne parle pas du bouleversement du monde physique : des chemins de fer, des steamers, du