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280 PIERRE ET JEANNETTE On avait aussi amené la chèvre Brunette, principale nourrice de la famille et dont les fromages n'étaient pas moins estimés sur les marchés voisins que ceux de Fro- mentine. Une oie, aussi intelligente que fidèle, qui s'était attachée particulièrement à Jeannette et que Jeannette aimait beau- coup elle-même, avait accompagné également la famille dans sa nouvelle demeure. La basse-cour comptait, avec elle, six poules et un joli coq, qui égayait la maison par son, chant matinal. Les oeufs et les poulets contribuaient à apporter dans le ménage une petite aisance par la vente qu'on en faisait. Pour labourer la terre et récolter le blé nécessaire à la famille, il fallait emprunter de temps en temps la vache d'un voisin, qu'on attelait avec Fromentine, soit à la char- rue, soit au tombereau. Le jardin fournissait les légumes et quelques fruits. On pouvait donc vivre. Matériellement, l'existence était supportable ; mais, moralement, quelle triste situation ! Le père et la mère conservaient., sur la cause de leur exil, un silence glacé vis-à -vis de leur fille; celle-ci, n'osant pas leur demander leur secret, les embrassait, les caressait, comme pour leur dire de se dévoiler à elle, et pour leur faire com- prendre qu'elle était digne d'avoir leur confidence ; mais elle n'obtenait rien. Elle était donc réduite à se plonger dans les plus pénibles réflexions, et ses seules consolations étaient le travail du jardin, où elle excellait, comme je l'ai déjà dit, le soin des animaux, l'aide apportée à sa mère dans les tra- vaux du ménage, les ouvrages de couture, où elle était ha- bile, et enfin la lecture de quelques bons livres qu'elle avait apportés de Beauregard. Hélas ! elle n'avait plus la ressource de la correspondance, qui autrefois était sa plus délicieuse occupation ; elle ne