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448                HISTOIRE D'UNE PERDULE

 rapportait ni à mes affaires, ni à mon Jacques; ce con-
 tentement n'a pas été de longue durée et les Prussiens
 l'ont emporté comme tout le reste. Mais c'est si peu inté-
 ressant pour vous et pour ceux qui sont là, que je n'ose-
 rais vraiment pas...
    — Osez, osez, madame Marther, s'écrièrent en chœur
les assistants.
    — Osez, je vous en prie, répéta Mme Dentremont.
    Docilement, simplement, Mma Marther arrêta le jeu de
 ses aiguilles à tricoter et narra cette simple histoire :
    — J'avais beaucoup de monde à servir dans ma bou-
 tique. Le dimanche surtout, on y venait en foule après la
 messe pour s'approvisionner d'épicerie et de mercerie pour
 toute la semaine ; car plusieurs hameaux et un grand
 nombre de maisons écartées dépendent du village où je
 suis née et où je mourrai, s'il plait à Dieu de le rendre
 assez tôt à la France pour cela. Tout en faisant les em-
 plettes on jasait sur ce qui s'était passé pendant la huitaine ;
 chacun disait son mot sur la sécheresse ou sur la pluie,sur
les récoltes, sur les recommandations de M. le curé, sur
les annonces de mariage, que sais-je moi? Tant et si
bien que le temps s'écoulait et que lorsque l'horloge du
 clocher sonnait onze heures, et elle était presque toujours
en retard d'un bon quart d'heure au moins,* c'était un
branle-bas général : tous voulaient être servis à la fois, je
ne savais plus qui entendre. Et quand je faisais mine de
m'en plaindre, chacun de me répéter : Eh! mère Mar-
ther, si vous aviez dans la boutique une pendule, une
horloge, voire même un coucou, nous ne nous laisserions
plus ainsi surprendre par l'heure. Pensez-vous donc que
nous ayons chacun une montre d'or? Si vous voulez
nous en faire présent à Noël ou au 1er janvier, vous êtes
libre ; eh, eh ! chacun sait que votre tiroir est lourd.