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446 HISTOIRE D'UNE PENDULE d'un vaste foyer, ceux de ses humbles voisins que,leurs travaux ou les soins à donner à leurs enfants ne retiennent pas au logis ; elle se plaît le plus souvent à leur faire une lecture utile ou attachante. D'autres fois on cause, cha- cun raconte quelque anecdote : dans ce cas, le thème le plus ordinaire de la conversation c'est la guerre de 1870, cette guerre fatale dont l'issue a laissé tant d'amertumes aux cœurs. A ce propos, nul ne reste muet ; les femmes, les vieillards narrent pour la vingtième fois au moins les faits et gestes des Prussiens au moment de leur invasion dans le hameau et pendant le long temps qu'ils s'y sont succédé ; les jeunes gens, revenus del'armée, ne tarissent pas sur leurs souffrances, sur le nombre considérable des ennemis ; ceux qui furent francs-tireurs ont dans leur discours une tendance prononcée à la vantardise, à l'exa- gération de leurs exploits. Mais il est à remarquer que ceux qui ont le plus souffert, soit qu'ils aient éprouvé quelque grave dommage, soit qu'ils aient perdu quelque être chéri, sont les plus réservés ; la profonde douleur craint l'éclat et le bruit. L'attitude d'Eulalie Marther prouvait surabondamment cette vérité. Cette femme, intelligente et assez lettrée, selon l'expression favorite de Madame Dentremont, assis- tait régulièrement aux veillées et écoutait lèvres closes. Et pourtant, la noble et digne Française, elle avait aban- donné son pays, devenu prussien, son commerce, pour fuir la domination des vainqueurs détestés ; bien plus, son fils unique, qui s'était volontairement engagé, car la loi ne lui demandait rien, son père étant mort depuis de longues années, avait succombé aux fatigues de la guerre. Elle était arrivée un jour aux Pierres-Moussues, où vivait encore un oncle à elle, auquel elle avait dernière-