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LE PAGE DU BARON DES ADRETS, 75 les leçons de joute et d'escrime que donnait à mon frère un vieux soldat qui avait fait la guerre en Italie et que mon père avait en estime singulière. Quand ma mère gémissait de mes goûts, qui n'étaient pas ceux d'une jeune fille, mon père riait et répondait qu'elle pouvait garder son fils auprès d'elle pour faire de la tapisserie, mais que lui emmenait sa fille qui était pour lui un loyal et hardi compagnon. Un grand malheur nous arriva ; ma mère mourut ; ma douleur fut immense, mais mon père qui ne trouvait plus aucun charme au château, pour se distraire du profond et vrai chagrin qu'il éprouvait, redoubla ses chasses et ses chevauchées, visita ses voisins et ne rentrait chez lui que dans un état de tristesse qu'expliquait le froid de son intérieur. La mort de ma mère l'avait atteint au cœur. Je le suivais partout et ce n'était qu'auprès de moi qu'il retrouvait un pâle et léger sourire. Mes voiles de deuil n'empêchèrent pas les jeunes châ- telains du voisinage de nous suivre et de nous accompa- gner. Les prévenances, les caresses dont on entourait mon père, lui plaisaient; il les prenait pour lui, lorsque souvent c'était à moi qu'elles s'adressaient. Les d'Albon, les Talaru, les Chaponay ne dédaignaient pas de de- mander l'hospitalité à notre foyer ; Gaston de Talaru sur- tout était assidu à nos chasses, à nos courses et à nos plaisirs. Sans l'aimer, c'était lui que je préférais comme compagnon de fatigue et de repos. Bon et franc, il me plaisait par la loyauté de son caractère ; c'est lui qui, bien involontairement, fut cause de mes malheurs. Un jour, il crut pouvoir parler de son amour à mon père et, sans voir l'étonnement et l'éclair de ses yeux, il