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388 VOYAGE Diî LV'ON A YENNE. de vue. Le ïîhône s'étale librement sur une plage basse, ma- récageuse, i lanlée d'osiers, de joncs et d'herbes aquatiques. Des plaques d'un noir sinistre indiquent l'emplacement de vastes tourbières. Sur ce terrain mouvant serpentent et se croisent, comme les divisions d'une carte géographique, les perfides méandres de mille canaux à fond vaseux. L'aspect général est sombre, sauvage, désolé comme un steppe noyé. Le fleuve môme a un éclat plombé, livide. Pour augmenter la solennelle tristesse du tableau, deux vautours blancs à ré- miges noires, exacte livrée de deuil, planent lentement au- dessus des roseaux. Il y a quelque chose de mort sous les hautes herbes. Allons, chauffeur, active Ion feu. Gagnons les vertes col- lines dont les lignes harmonieuses se dessinent plus nette- ment à chaque révolution des roues. Mais le pilote ne l'en- tend pas ainsi. « Doucement! 11 faut de l'adresse, du coup d'œil et de la prudence pour ne pas s'engraver dans ces passes sans profondeur. « Doucement! Sondez! Bien! On marchera, mais il faut, tout. » En avant!... Ah enfin ! Allons, chauffeur, active ton feu. Allons, vieux pilote, rallume ta pipe que tu as laissé étein- dre à demi-pleine, tant tu étais attentif à l'ouvrage. Deux mètres d'eau sous l'Hirondelle... en avant, à toute vapeur!... Quz le bateau mérite son nom! Je plains sincèrement une classe de voyageurs. Je veux parler de ceux qui ne sauraient se mettre en route, sans une bibliothèque. I! en est même qui emportent un jeu de cartes. Faute de partner, ils font des réussites. Ils appellent cela étu- dier ou se distraire. Mais, malheureux, si tu veux étudier, n'as-tu pas, ouvert devant toi, de la montagne au creux du val, le plus sublime de tous les livres, écrit demain de maître, celui-là ! Sans fautes