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380 LE CHATEAU DE CAR1LLAN. être fort peu ambitieux, n'en étaient pas moins doux et agréables. J'appelais l'instant où je serais à la tête de l'usine de mon père ; où, grâce à ce savoir professionnel que j'avais acquis presque malgré moi, en Angleterre, et que je développais aujourd'hui avec une activité pleine de repentir, je serais un manufacturier intelligent, estimé, précieux pour mon pays. J'aurais alors une place dans la société, une femme qui m'honorerait, et des enfants que je saurais élever à la sa- gesse. C'est par de telles pensées que mon esprit, en quittant le travail, se mûrissait encore, et que j'élevais peu à peu la barrière de l'oubli entre ma vie passée et les principes de con- duite que je me traçais dorénavant. Il y avait environ quatre mois que j'étais métamorphosé, quand un beau jour que, du haut de mon balcon, les yeux fixés sur la campagne, je rêvais comme à mon ordinaire, j'aperçus au-dessous de moi une jeune fille qui m'observait avec une certaine curiosité. Devant mon pavillon et séparés de nos bâtiments par la rue, se trouvaient la maison et l'en- clos d'un notaire, appelé M. Laval. C'est dans ce jardin que je vis la jeune fille. Elle paraissait âgée de dix-sepl ans et plus faite que moi pour inspirer la curiosité et attirer les regards. Je me rappelai que ma sœur avait été élevée avec la fille de M. Laval, que je m'étonnai de n'avoir point encore aperçue ni remarquée, et le jour même je m'informai près d'elle du nom de son amie : — « Ne te rappelles-tu point qu'elle se nomme Margue- rite? » me dit ma sœur. — Non, je l'avais oublié, si je l'ai su. C'est un joli nom. Est-elle aimable, cette demoiselle ? — Certainement. Je ne peux pas dire autrement que tout