page suivante »
TRAITRE OU HÉROS. 223 Marmora en fait foi, et je me reprocherais de ne pas lui emprunter un témoignage qui manquerait au portrait que j'ai voulu tracer. Lors de l'attaque de Cagiiari par les Français en 1792, toutes les milices de l'intérieur accoururent à la défense delà capitale, « Alors, dit M. de la Marmora, on remarqua parmi les campagnards sardes et principalement parmi ceux de la Gallura, ce que peut l'enthousiasme et l'amour de la patrie à l'approche d'un danger commun : on vit les ennemis les plus irréconciliables et même des hommes déjà teints du sang de leur parents respectifs, sortir de leurs embuscades et de leurs retraites, se rapprocher, se tendre la main et se jurer réconciliation, ou du moins une trêve sincère. « Toute haine et toute idée de vengeance furent suspen- dues : ces montagnards farouches, qu'un front ridé, des yeux étincelants et une longue barbe faisaient distinguer au milieu des escadrons, marchaient à côté l'un do l'autre, sous la même enseigne, pour défendre cette ville dont ils avaient naguère méconnu et bravé l'autorité, et d'où un arrêt de mort avait été lancé contre eux. (t. I, p. 371). » La piété (ce mol étonnera certainement ici), la piété, dis-je, de ces hommes façonnés par les nécessités et les habitudes de leur misérable vie, à tout ce qui semble le plus incom- patible avec ce besoin du cœur, leur vénération pour les choses saintes, les pratiques de dévotion dont ils entremêlent les pratiques les plus contraires, ne forment pas, d'un autre côté, un des traits les moins originaux du caractère sous lequel il nous apparaissent. Éloignés de toute église, ils ne renoncent pas pour cela aux pratiques du culte ; seulement ils ont pour temples quelque chapelle abandonnée, quelque oratoire caché dans les plus mystérieuses profondeurs des forêts vierges qu'offrent certaines parties de Me, ou dans les cavités de rocs ardus qu'on ne peut gravir sans dangers.