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ET DES MODERNES. 99 ne change pas. Dans les sciences, les choses se passent différemment : un progrès nouveau ne vient pas toujours s'ajouter au progrès précédent : parfois il se substitue à lui et le fait oublier ; il s'y opère des métamorphoses qui n'ont pas d'analogues dans la littérature : ce qui passe pour vrai à une époque peut être démenti par la suite et se trouve 'ejeté parmi les erreurs ; de là l'incessante mobilité des sciences dans leur marche ascendante (6) ; de la la nécessité absolue, pour bien apprécier les hommes et les choses de l'antiquité, de se placer aux divers niveaux qu'ils ont occupés dans l'histoire afin de s'identifier à l'avance avec les matières de nos jugements. Essayons donc, dans cet ordre d'idées, d'esquisser la partie scientifique qui reste a démontrer. Nous commencerons par les sciences mathématiques; elles furent toutes créées dans l'antiquité et presque toutes (6) Aussi les savants sont-ils de tous les ailleurs les plus mal partages ; la science humaine est comme un autre Protée; sa physionomie change inces- samment, comme la langue qu'elle parle; ses théories se transforment ; et rien ne vieillit plus vite que les livres des savants qui deviennent bientôt surannés et parfois inintelligibles. Leurs idées tombent dans le domaine commun, leurs découvertes sont absorbées par la science courante, et leurs œuvres, à la longue, s'oublient, ainsi que leur nom. Combien peu survivent dans le nom- bre ! On peut dire du présent qu'ils en jouissent à peine, et que pjur eux, l'avenir n'est généralement qu'un mirage. Combien la société, pour laquelle ils travaillent et se consument, ne leur devrait-elle pas de compensations! Laplace a très-bien saisi cette infériorité de leurs destinées : « La littérature a des limites qu'un homme de génie peut atteindre, lorsqu'il emploie une langue perfectionnée ; on le lit avec le même intérêt dans tous les âges , et sa réputation, loin de s'affaiblir par le temps, s'augmente par les vains efforts de ceux qui cherchent à l'égaler. Les sciences au contraire, sans borne contrôla nature, s'accroissent à l'infini parles travaux des génération s successives ; le plus parfait ouvrage, en les élevant à une hauteur d'où elles ne peuvent désormais descendre, donne naissance à de nouvelles découvertes et prépare ainsi des ouvrages qui doivent l'effacer » [Système du monde, 1. 5. c. 5).