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DE LA TÊTE-D'OR. 145 Madame de Servient prévoyant que son château pourrait naturel- lement se transformer en rendez-vous d'ivrognes, voulut le sous- traire à cette profanation. 11 est à présumer que si la donatrice, revenant sur cette terre, eût visité la rue Madame et autres lieux, près de sa maison forte delà Part-Dieu, elle eût été singulière- ment scandalisée ; mais son ombre se réjouira aujourd'hui en apprenant que la police, bien inspirée, a commencé à débarrasser ce quartier de certains cabarets dans lesquels on débitait du vin avec des circonstances aggravantes : Omnibus ministrante Venere modis (1). (1) Malgré notre marche ascendante dans le bien-être matériel, malgré le progrès, malgré le luxe, peut-être à cause de tout cela, à cause de l'im- mense développement de l'industrie qui traîne après, elle la plaie du pau- périsme le plus hideux, la population de ce quartier offre de singuliers contrastes. Un journal de notre ville, le Salut Public, rendant compte d'un incendie qui, dans la nuit du 8 au 9 décembre passé, a éclaté ans environs de la rue Madame, nous fait la description d'une des cours de miracles exis- tant dans le troisième arrondissement : « Une partie assez considérable de « ce bâtiment élait divisée en petits compartiments, formant une agglomé- « ration de bouges où se logeait une population des plus misérables : fabri- « cants d'allumettes, mendiants, bohémiens exerçant des métiers infimes « ou des industries inconnues, étaient là accumulés dans des taudis déla- « brés, tombant en ruines et présentant l'aspect le plus désolant; en tout « 116 ménages en lutte ouverte contre le mariage, et forçant par tous les « moyens possibles à détaler au plus vite les •unions légitimes qui s'aven* « turaient parmi eux. Dans quelques-unes de ces fosses quatre ou cinq « personnes se trouvaient réunies, n'ayant pour se coucher qu'un mauvais « garde-paillc posé sur le sol. » Auprès de ce tableau réaliste, je doute que les déclamations chaque jour répétées str les logements insalubres de nos vieux quartiers intérieurs aient une grande valeur : il y a là de quoi devenir sceptique à l'endroit du pro- grès. Bientôt, je pense, nous n'aurons plus rien à envier, en fait de hideuses misères, à la confortable et aristocratique ville de Londres. Le Salut Public termine son article par cette considération : « C'est un terrain purifié par « le feu, une lèpre de moins dans un quartier que tous les efforts tendent à < « régénérer. » Celte réflexion me semble bien sèche et bien déclamatoire. 10