page suivante »
DES CLASSES RICHES. H3
des espèces ? Par une succession d'êtres qui naissent chaque
jour, vivent quelque temps, et comblent les vides faits par
la mort de ceux qui lèsent précédés. Bien plus, les parties
matérielles dont ces êtres se composent se renouvellent sans
cesse, et chacune d'elles se détruisant par une action in-
sensible , mais incontestable, cesserait bientôt d'exister si
elle n'était remplacée par d'autres.
Dans la longue durée des espèces comme dans la courte
durée des individus, la conservation n'est donc pas l'inertie,
l'immobilité : c'est un effort sans relâche ; c'est presque une
série de nouvelles créations.
Mêmes lois dans l'ordre religieux et social. Là aussi tout
ce qui dure ne doit sa perpétuité qu'à une action continue
qui passe d'un individu à un autre, d'une corporation à une
autre, mais ne s'interrompt jamais.
La conservation dans l'immuabilité n'appartient qu'à Dieu :
pour la créature, la conservation c'est la rénovation.
Et c'est en présence de cette grande loi qui condamne
incessamment à produire tout être qui veut se continuer dans
ce monde, que vous prétendez conserver quelques biens par
l'inaction et une volontaire stérilité ? il ne peut en être
ainsi ; il ne peut dépendre de vous de produire des effets
contraires à des lois immuables. Du reste, consultez l'expé-
rience, dont les enseignements, sans avoir plus d'autorité
que ceux de la raison, impressionneront peut-être plus vive-
ment vos esprits.
Dans les villes où les familles changent continuellement
de demeure, où elles arrivent et d'où elles émigrent obscu-
rément, on ne peut guère juger de la fréquence et de la
rapidité des chutes sociales. 11 n'en est pas de même dans
les campagnes. LÃ , chaque famille a sa maison distincte ;
les enfants y succèdent au père ; l'élévation , la décadence
et la chute des familles y sont écrites dans des demeures suc-
cessivement acquises, restaurées, puis, laissées dans le dé-
labrement, et à la fin, passée? dans des mains étrangères.
Eh bien! qu'on étudie dans un village les phases par les-
quelles ont passéf les habitations que possédaient la Bour-
geoisie ou la Noblesse, je rie dis pas depuis un siècle, mais
depuis cinquante ans, et l'on trouvera écrit sur plus de la
moitié de ces demeures, le mot ruine, souvent plusieurs fois
répété.
Dans les pays que j'ai habités quelques jours, je me suis
fait conter l'histoire des possesseurs, entre les mains des-
8