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246 I.A DAME D'URFÉ.
ou te punir ; dans le doute j'aime mieux être généreux. Fuis
loin d'ici et surtout garde le silence.
Le soldat prit la bourse, fit un geste de respect et d'adieu, et
s'enfuit.
—Marguerite ! et toi Guillaume ! cria le chevalier, allons, venez,
mes enfants. Tiens , Guillaume, emmène mon cheval ; et toi,
Marguerite, prends ce sac, mais bien doucement; c'est un surcroît
de famille que je t'apporte.
—Jésus ! mon Dieu ! dit la jeune femme en joignant les mains,
qu'est-ce que. c'est que tous ces enfants ?
— Marguerite, tu as appelé la colère du ciel sur la femme qui
t'avait outragée ; le ciel t'a exaucée ; ces enfants sont à moi.
— A vous, Messire ? et la jeune femme rougit en reculant d'un
pas, mais se rapprochant aussitôt : Ils sont à vous ? Oh ! que je
vais en prendre soin ! Vous me les confiez, Messire? Vous me
les confiez ?
— C'est ainsi que tu te venges, Marguerite, Dieu te récompen-
sera ; et le jeune châtelain raconta aux deux époux ce qui s'était
passé.
— Nous vous promettons le secret, Messire, mais si la dame
d'Urfé vient de ce côté ?
— Elle n'y viendra pas, dit le chevalier, car elle sait que vous
y habitez. L'instant d'après il avait repris le chemin du château.
Quand Isambert rentra au château de la Bâtie, on accourut
pour le féliciter, mais la joie qu'il affectait était loin de son cœur.
Il se rendit dans la chambre de son épouse, prit son nouveau-né
dans ses bras, donna un baiser à la jeune mère, et, sans lui dire
une parole, redescendit l'escalier en essuyant une larme ; Hir-
mantride fit signe à la nourrice.
— Saurait-il notre secret? dit-elle. Il est sorti sans me parler,
c'est la même indifférence qu'autrefois, et cependant il a tenu
son fils dans ses bras, il l'a regardé avec complaisance, il m'a
baisée au front -, quel caractère incompréhensible ! Il est bon,
mais s'il savait tout !
— Prenez courage, madame, il n'a pas l'air si méchant; ce qui
n'empêche pas que chaque jour je ne regrette nos belles mon-