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FABLES DE M. ALEXIS ROUSSET. L'homme a un penchant naturel à entendre raconter; la fable pique sa curiosité et amuse son imagination ; aussi est-elle de la plus haute antiquité, et en trouve-t-on des traces dans les plus anciens monuments de tous les peuples: il semble que de tout temps la vérité ait eu peur des hommes et que les hommes aient eu peur de la vérité. Quel que soit l'inventeur de l'apologue, soit que la raison timide dans la bouche d'un esclave ait emprunté ce langage détourné pour se faire entendre d'un tyran, soit qu'un sage voulant la réconcilier avec l'amour propre ait imaginé de lui prêter cette forme agréable et riante, cette invention est du nombre de celles qui font le plus d'honneur à l'esprit humain. Par cet heureux artifice, la vérité, avant de se présenter aux hommes, compose avec leur orgueil et s'empare de leur imagination. Elle leur offre le plaisir d'une découverte, leur épargne l'affront d'un reproche et l'ennui d'une leçon. Occupé à démêler le sens de la fable l'esprit n'a pas le temps de se révolter contre le précepte ; et quand la raison se montre à la fin elle nous trouve désarmés. Patru n'empêcha-t-il pas l'Académie française de donner k un homme de cour le fau- teuil d'un homme de lettres en improvisant une fable que par parenthèse on devrait bien relire chaque T'ois qu'il s'agit de procéder à une élection?