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AU XVIII e SIÈCLE. I? nie sont tout le contraire des cœurs héroïques ; les esprits vraiment fiers, nobles, énergiques ne pratiquent pas la mo- querie ; l'ironie est une arme de la servitude. L'histoire des ironiques les plus célèbres est là pour attester le peu de no- blesse de leur caractère et leur peu d'indépendance. Depuis Rabelais jusqu'à Voltaire, tous n'ont obtenu le privilège de manquer impunément de respect aux grandes choses qu'en se faisant les humbles courtisans des personnes les moins respec- tables. L'ironie, comme état habituel du cœur et de l'intelli- gence, est mortelle a la poésie comme à la religion. Lors donc qu'en interrogeant l'esprit d'une époque nous trouvons qu'elle a, pour premier caractère l'absence de res- pect, l'ironie, nous pouvons décider d'avance et à coup sûr que cette époque est contraire a la poésie. A aucune époque de l'histoire l'ironie n'a exercé sur les âmes une domination aussi absolue qu'au XVIIIe siècle. La littérature de ce temps prose et vers, la vie sociale, les con- versations, les correspondances 'sont si complètement pri- vées du respect, elles se distinguent si bien par un esprit d'aggression contre tout ce que le genre humain a vénéré , qu'il semble que l'armée des intelligences soit organisée tout entière comme pour une bataille. Jamais, du reste, il n'y a eu dans une société une pareille unité de tendance; et le but commun c'est un assaut à donner à tous les sanc- tuaires réputés jusque la les plus inviolables. Il devient pres- que injuste de juger la littérature du XVIIIe siècle du haut des lois de la poésie et de Fart, tant elle est étrangère à tout ce qui n'est pas la guerre au passé et l'esprit de réforme ; ses vers et sa prose ne relèvent pas de l'esthétique, mais de la stratégie. Ouvertement, ou sans le savoir, toutes ses pensées ont le même but: la révolution. Cette unité, cette discipline dans une pareille mêlée des intelligences a certainement sa grandeur. A côté de la néga- 2