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18 DE LV POÉSIE ET DU STYLE tion, du scepticisme, de l'ironie, il y eut, chez les écrivains du XVIIIe siècle, des haines justifie'es, des passions vraies et jusqu'à des éclairs d'enthousiasme. Quelques âmes , comme celle de Jean-Jacques Rousseau, tout en participant, par des sophismes à l'œuvre de subversion, se tiennent en dehors du courant de l'ironie ; aussi l'éloquence n'est-elle pas rare dans les œuvres de ce temps ; ce n'est plus l'éloquence de Bossuet sortie-des profondeurs de la raison et des plus hautes régions de l'âme humaine, c'est une véhémence qui a sa source dans le tempérament plutôt que dans le cœur, dans l'imagination sensible plutôt que dans l'entendement, mais enfin c'est une véhémence entraînante, qui saisit certains côtés de l'âme, et qui engendre un des effets que l'on demande à l'éloquence, l'émotion. Le XVIIIe siècle a donc eu son éloquence car il a eu des passions : mais le XVIIIe siècle, hostile au sentiment religieux et dépourvu de respect, n'a pas eu de poésie. Tout le monde a fait des vers au XVIIIe siècle, depuis les abbés galants et les graves magistrats jusqu'au rois philosophes, et j'y cherche un poète. A part quelques lueurs perdues de Malfilâtre et de Gilbert, et l'aurore d'André Chénier qui commence une époque nouvelle, la critique ne peut rien accepter comme vraie poésie dans les innombrables rimes des contemporains de Voltaire. Une étroite connexité joint la substance de la poésie et le style poétique ; la poésie peut exister en puissance, indépendamment du style, mais pour se réaliser dans une œuvre d'art elle a besoin d'une certaine forme, elle vit dans une étroite dépendance du style; dès qu'elle sort de l'âme pour se manifester, le style en devient une face si impor- tante , que l'on peut expliquer par cette importance de la forme , l'erreur de ceux qui n'admettent entre la poésie et la prose d'autre distinction que celle du syle. On peut néanmoins étudier et on a toujours étudié les