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12 l)E LA POÉSIE ET DU STYLE d'une époque, c'est son âme devenue visible, c'est son caractère qui tombe sous les sens. L'état moral et religieux d'une société est aussi apparent dans le coloris, dans le dessin, dans le mouvement du style de ses poètes ou de ses peintres, que les sentiments d'un homme et ses habitudes sont apparents dans son regard, sur son front, dans son sourire, dans l'accent de sa voix et dans tous ses gestes. Ne craignons donc pas d'amoindrir les questions en nous occupant uniquement de l'art et du style, dans une époque qui doit sa célébrité à son esprit de réformes posi- tives, aux graves débats qu'elle a soulevés sur l'organisation sociale , sur la vérité philosophique. Nous pouvons être certains d'une chose, c'est que si nous arrivons à une notion juste de la valeur du XVIIIe siècle en matière de style et de poésie, si nous avons apprécié sainement l'idée qu'il a eu du beau, ne fût-ce que dans la versification et le dessin, nous aurons son exacte mesure dans l'ordre métaphysique et moral. Les vers de la Henriade et les doctrines de l'Essai sur les Mœurs se supposent et s'expliquent mutuellement. En cherchant ce que sont devenus, au XVIIIe siècle, la poésie du Cid et l'éloquence des Oraisons funèbres, les vers de Corneille et le style de Bossuet, nous arriverons a constater les dispositions morales qui ont remplacé à cette époque le sentiment chevaleresque de l'honneur, la grandeur d'âme et la haute inspiration religieuse. C'est donc sur ces deux points seulement, la poésie, le style, que nous essayons d'apprécier la littérature du XVIIIe siècle Quand on veut juger une littérature par ce côté spécial, le sentiment poétique, la première difficulté, lorsqu'on se trouve en face des critiques français, c'est de savoir si on a le droit d'admettre que la poésie est quelque chose d'essentiel ; si elle existe en elle-même ; si elle est autre chose qu'une certaine condition de forme et de langage ; si la versification,