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                   DISCOURS DE M. HEINRICH.                   143

 l'étude du Roland furieux , et nous pourrons ainsi mesurer
 l'abîme qui sépare les deux sociétés. Mais j'ai hâte d'opposer
 ici à l'Arioste un plus digne rival, celui qui partage avec lui
 les suffrages indécis des critiques, l'auteur de la Jérusalem
 délivrée.
    Le Tasse, Messieurs, procède d'une tout autre famille.
 C'est une de ces âmes qui savent conserver l'enthousiasme
 dans un siècle sceptique, et ne s'en attachent que plus vive-
 ment à l'idéal qu'elles ont rêvé. Si l'Arioste rappelle Ovide
 par les grâces légères de l'esprit, c'est à Virgile qu'il faut
comparer le Tasse pour la pureté des sentiments et la ten-
dresse du cœur. Aussi dédaignant ces récits où l'imagina-
tion seule domine, comme Virgile, c'est aux nobles et pieux
 souvenirs de la patrie qu'il fait appel, et il n'en pouvait trou-
ver de plus beaux que ceux de la première croisade. Toute
cause religieuse était nationale pour l'Italie qui était le
centre de la chrétienté ; d'ailleurs elle avait aussi donné des
héros à l'armée chrétiennne ; elle aimait a retrouver, dans les
vers du Tasse, le bouillant Tancrède, l'une des gloires de la
dynastie normande des Deux-Siciles. On n'avait pas attendu
le XVIe siècle pour célébrer en vers les exploits des Croisés;
ces lointaines expéditions prêtaient aux merveilleux récits,
et la poésie était venue de bonne heure se mêler à l'his-
toire. Ces premiers récits seront l'objet de nos études; nous
nous convaincrons facilement que le Tasse ne les avait pas
négligés et qu'il leur dut plus d'une inspiration. Mais ce qu'il
ne doit qu'à lui-même, c'est cette exquise sensibilité qui fait
le charme de tout son poème, et nous attache surtout à ses
héroïnes. Qui n'a lu avec délices les touchants épisodes de
Clorinde et d'Herminie ? Tous, nous avons voulu soustraire
Renaud aux indignes lois d'Armide, mais qui de nous a pu
refuser quelque pitié a la belle magicienne lorsque Renaud
s'arrache de ses jardins enchantés , et que la douleur de