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FEDOR ET LOUISE. 331 Mais, où prendre votre nourriture ? Et notre bon père qui est dans la prison a besoin d'un aliment fortifiant. — Donne ici, dit Fedor qui avait entendu la conversation de Louise. Je veux leur tordre le cou et leur arracher la tête ! — Oh ! méchant ! que dis-tu là ? Non, tu n'auras pas le plaisir de les tuer. Tu pourrais les martyriser et prolonger leurs souf- frances. Elle prit ses pigeons et alla chez la voisine : — Madame Petermann, auriez-vous L\ bonté de tuer ces deux pigeons. Je veux les faire rôtir pour mon père, car dans sa prison il n'a que du pain sec et de l'eau. — Comment! vous ne savez pas encore couper le cou d'un pigeon ? Et que serait-ce donc si quelque jour vous étiez obligée de servir? A votre âge je tuais des pigeons, des poules, des oies des canards, j'écorchiis mes carpes et je dépouillais mes anguilles, — J'ai pitié de ces pauvres pigeons, répondit Louise. — Et pourquoi avoir pitié ? Une bête est une bête, et elles ont été créées pour nos besoins. Avez-vous pitié de la mouche qui salit vos chambres ou de la puce qui vous pique ? Nous serions bientôt dévorés par les bêtes, tandis qu'aujourd'hui c'est nous qui les mangeons. Je tue les bêtes qui me nuisent et j'en fais autant de celles dont la mort m'est utile. Telle est la volonté de Dieu. Rien ne me révolte plus que ces belles dames qui ne savent pas répandre une goutte de sang, et qui ont peur de tuer une oie ou même un canard. Mais ces mêmes dames sont enchantées de manger un bon morceau, et lorsqu'elles voient fumer le rôti sur leur table, elles ne songent nullement à la douce brebis qui est morte sous le couteau du boucher. Elles s'enveloppent bien dans la laine de ces animaux, et les gants dont elles ne se prive- raient pour aucun prix sont pourtant fabriqués avec de la peau de chèvre ou de veau. Donnez-moi ces pigeons, j'en tuerai un pour vous montrer comment cela se fait, et vous tuerez l'autre. — Non, non, je ne le puis, dit Louise toute tremblante. — Il le faut, vous dis-je ! Que feriez-vous donc si vous étiez toute seule dans une île déserte ? Voyez, on le saisit ainsi, on coupe, et la gorge est tranchée ! Le pigeon, il est vrai, se débat