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418 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. Plusieurs passages de cette pièce de vers sont tout à fait dans le goût d'Anacréon. Il est certain cependant que les Turcs, et en général, les peuples orientaux, ont peu étudié la littérature étran- gère à leur pays ; on peut présumer que ces coïncidences tiennent à ce que le cœur humain est partout le même, et le cri du plaisir se ressemblant si bien à deux mille ans de distance, prouve seu- lement combien il y a peu de manières d'être heureux et de publier son bonheur, tandis qu'il y a tant de manières diverses de souffrir. La poésie turque, dit M. de Sugny, moins voluptueuse que la poésie persane, moins guerrière que la poésie arabe, a quelque chose de plus moraliste et de plus idéal. « Les Turcs, ajoute cet écrivain, ont quelque chose de distinct des deux autres nations. Méditatifs par nature, ils aiment à approfondir les mystères de l'existence, à plonger par la pensée dans les ténèbres de l'autre monde, et à se demander le but et la fin de tout dans celui-ci ; aussi, sont-ils moralistes par excellence, et ont-ils sans cesse présentes à l'esprit l'heure de la mort et l'éternelle destinée qui attend chaque homme au-delà du tombeau. Bans les œuvres même les plus légères de leurs écrivains, il y a presque toujours quelque aperçu religieux et philosophique se rattachant au sujet principal pour en former le couronnement, ou, s'il y a lieu, le correctif. En un mot, les Turcs ne se considèrent que comme campés dans la vie, de même qu'on a dit que leur nation n'était que campée en Europe. On conçoit quelle gravité une semblable manière de voir doit imprimer à leurs mœurs, et par suite, à leurs créations intellectuelles. » Quant aux traductions en général, M. de Sugny nous rappelle qu'il y a deux méthodes ayant chacune ses partisans et ses détracteurs. L'une consiste à traduire mot à mot en conser- vant les expressions, les images, les comparaisons, en faisant connaître le génie de l'auteur dans sa sauvagerie, en le présen- tant lui-même tel qu'il est, avec son costume bizarre peut-être, mais national ; c'est la méthode la plus hardie, c'est la méthode la plus moderne, c'est celle qu'ont suivie Buchon, dans sa traduction d'Hébel, et Eugène Bareste, dans celle d'Homère.