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41 G BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. Le nom et la vie dece tendre écrivain ne sont pas inconnus à la plupart de nos lecteurs. Un mérite piquant du livre de M. de Sugny , c'est de rapprocher certains noms de certaines œuvres, de dévoiler les talents poétiques de quelques-uns de ces hom- mes que nous n'avons été hahitués à ne regarder que comme de sanguinaires conquérants ou des soldats barbares. Cette union de la cruauté avec l'imagination et la poésie se retrouve assez souvent, et ailleurs que dans l'Orient. La charmante chanson : Il pleut, il pleut, bergère, est due à la plume d'un révolution- naire, et l'on sait que M. de Robespierre , dans ses bons mo- ments, a fait, lui aussi, des épîtres à Chloé plus chastes, plus naïves et plus tendres que tout ce qu'a écrit le capitaine de dra- gons Florian. La pièce de l'Absence est l'œuvre de Mahomet II, le farouche conquérant de Constantinople , l'auteur des massa- cres dont cette ville fut victime, lorsque l'empire d'Orient fut dé- truit, de Mahomet qui disait aux chrétiens en parlant du Bospho- re : « Les deux rivages sont à moi ; celui d'Asie parce qu'il est habité par des Ottomans, et celui d'Europe parce que vous ne sa- vez pas le défendre. » On est confondu de voir les dons les plus précieux de l'intelligence unis aux passions les plus redoutables, aux instinc||Ées plus grossiers ; lire les vers amoureux du meur- trier d'Irène produit un effet que l'on ne peut pas définir. Du reste, M. de Sugny fait remarquer combien, parmi ces sultans si terribles, il y en a qui ont cultivé la poésie, et non seulement eux, mais leurs vizirs, leurs généraux et les hommes les plus haut placés dans l'État. Tandis qu'en France nous ne pouvons citer que deux ou trois de nos souverains qui aient été, nous ne disons pas poètes, mais assez versificateurs pour avoir rimé un couplet ou deux, onze sultans figurent dans l'ouvrage de M. de Sugny, et y figurent avec honneur. On dirait que le fata- lisme et le despotisme ne laissant rien à faire aux peuples et aux souverains, que la sagesse humaine n'ayant rien à voir dans 'a conduite de ce monde, peuples et souverains se réfugient dans le domaine de l'imagination, où là , du moins, ils ont la liberté d'agir et de s'étendre, de créer et de détruire, d'édifier et de renverser, de vivre enfin leur volonté.