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                  BÉRANGER ET PIERRE DUPONT.                      59

 prolétariat, de ses efforts à monter plus haut, de son aptitude à
 entrer dans la vie politique ; mais, pour y découvrir, comme le
 firent alors certains journaux, une nouvelle veine littéraire, et
 prophétiser l'avènement d'une poésie purement populaire ,
 destinée à remplacer l'ancienne, il fallait plus que de la bonne
 volonté, il fallait beaucoup d'illusions et beaucoup de préjugés.
    C'est que, en vérité, plus on y réfléchit, plus on se convainct
 qu'une telle littérature est, dans l'état actuel de nos mœurs,
 absolument impossible. Lorsque les classes sociales sont nette-
 ment séparées, lorsqu'elles ne communiquent par aucun point,
 on comprend une poésie distincte pour chaque classe ; mais
 aujourd'hui que tous les rangs hiérarchiques sont rompus,
 aujourd'hui que tous les esprits se précipitent vers l'unité,
 rêver deux littératures, l'une bourgeoise et l'autre populaire,
 c'est à n'y pas croire.
    Un fait aurait dû, d'ailleurs, éclairer ceux qui s'engouaient
 ainsi sans raison de poésies dites populaires, c'est que toutes
 ces poésies étaient marquées au sceau de l'imitation. Rien de
neuf, rien d'original ; tel procédait de Lamartine, tel autre pro-
cédait d'Hugo ou de Béranger; mais tous imitaient, tous se
passaient, sans façon et largement, ce luxe des esprits oisifs, la
rêverie; et pouvait-il en être autrement? est-ce que la classe qui
monte n'est pas forcément condamnée à imiter la classe dans
laquelle elle veut entrer ou qu'elle essaie de supplanter ? c'est là
une loi historique contre laquelle il est impossible de se débattre.
Supposez qu'un Orphée prolétaire naisse, à cette heure, suscité
pour chanter les travaux du peuple, ses misères, ses souffrances,
exciter son orgueil et son courage, enflammer ses espérances,
est-ce que cet Orphée ne serait pas populaire dans les salons,
avant de l'être dans les guinguettes et les ateliers ? est-ce que les
chansons de Béranger ou de Pierre Dupont sont montées de la
rue au premier étage? c'est le contraire qui est vrai. Tous les
livres, bons ou mauvais, romans, philosophie, poésie, opèrent
par infiltration; le branle vient d'en haut; et cela, par paren-
thèse, devrait donner à réfléchir aux classes ouvrières qui.
parfois, sont prêtes à signifier très cavalièrement à la bour-