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60 BÉRANGER ET PIERRE DUPONT. geoisie qu'elles entendent marcher seules et se passer désor- mais de son concours. Un critique, peu sympathique cependant aux idées radicales, se posait dernièrement cette question : pourquoi les Etaft-Unis n'ont-ils point de littérature? et loin de se laisser aller aux déclamations ordinaires, et à vitupérer, du haut de son feuille- ton, l'industrialisme du nouveau monde, il s'en félicitait pour ces peuples; il voyait, dans cette absence de littérature, la preuve de leur jeunesse, et il avait raison. Les âges littéraires sont le couronnement, l'apothéose finale qui n'arrive jamais qu'au 5e acte de la vie des nations. A ce laurier, rameau tardif et sacré qui défend les peuples devant l'histoire, il faut une sève épurée, et, pour le produire, on dirait que les nations ont besoin de rassembler, dans un suprême effort, toute la puis- sance des âges révolus. Certes, ce ne sont pas les éléments poétiques qui manquent aux défricheurs du nouveau monde. Des fleuves vastes comme des mers, des forêts inviolées, des cataractes bondissantes, près desquelles nos plus grands torrents roucoulent comme de chétives rigoles, une Flore étrange et colossale, voilà pour la mise en scène. Et la partie morale n'est pas moins neuve: des mœurs bien tranchées, le respect et l'amour du foyer, combinés avec des habitudes nomades, le goût des aventures, la soif du danger, un orgueil national intraitable. Comment, avec de telles richesses, le génie poétique fait-il défaut ? c'est que ce peuple est jeune, encore une fois ; il n'a pas le temps de réfléchir longue- ment sur la poésie qui l'environne ; ce n'est que plus tard qu'il en comprendra la grandeur et la grâce. En attendant, il travaille, il agit. Plus tard, et trop tôt encore, il cueillera, lui aussi, ces fleurs enviées, qui ne croissent qu'au sommet des civilisations. Les classes populaires sont dans une situation analogue ; elles sont jeunes ; ce n'est que d'hier qu'elles s'éveillent à la vie politique. Sur elles, pèse le plus grand poids du travail social. La poésie, qui vit plus de souvenirs que de passions, leur est encore interdite ; elles imitent, parce que, dans le mou- vement d'émancipation qui les emporte, elles regardent en