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416 DE L'ESPRIT DE LAFONTAINE. houlette. Quel est, en effet, l'unique souci du poète? le sort des oisillons menacés par la chute de l'arbre ; c'est là la préoccupa- tion et presque l'unique motif qu'il a varié en trois strophes. Déjà l'arbre se déracine, Petits oiseaux, prenez l'essor Mais il n'ont pas d'aîles encor Bon bûcheron, que l'arbre tombe Tout doucement ! • On ne peut pas voir sans tourment Qu'un berceau devienne une tombe. Que le bûcheron de Lafontaine est plus vrai ! comme sa phy- sionomie est plus franche et, j'oserai le dire, plus démocratique ! Ce n'est pas des oiseaux qu'il s'inquiète, mais de lui-même ; l'homme! toujours l'homme! Lafontaine y revient sans cesse. En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois et jamais le repos, Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Les créanciers et la corvée Lui font d'un malheureux la peinture achevée. Tout cela est vrai aujourd'hui comme il y a deux cents ans, nous avons là un bûcheron en chair et en os, et aussi en hail- lons, un bûcheron qui n'a pas le temps d'être sentimental et de gémir sur d'autres maux que les siens. Il y a encore dans Lafontaine un sentiment tout-à -fait mo- derne, et qui semble au premier abord en contradiction avec ses fortes tendances à l'individualisme, c'est le sentiment de l'harmonie générale des choses ; par ce côté, il touche à notre siècle ; à chacun le rôle et la place que ses facultés naturelles lui assignent, et tout ira bien. Le lion en partant pour la guerre n'excluera aucun des animaux, et lorsqu'on lui conseille de ren- voyer les ânes qui sont lourds Et les lièvres sujets à des terreurs paniques. Point du tout, dit le roi, je les veux employer : Notre troupe sans eux ne serait pas complète ; L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette, Et le lièvre pourra nous servir de courrier.