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                  DE L'ESPRIT DE LAFONTAINE.                     417

    Charles Fourrier a dû sourire en lisant cette fable, et y trou-
ver comme un poétique présage de son aphorisme si connu :
l'attraction est proportionnelle aux destinées. Nous avons, d'ail-
leurs, déjà constaté que Lafontaine n'était pas de ceux qui croient
à la possibilité de réformer nos penchants ; les modérer et les
 utiliser lui semblait plus sage.
    N'est-il pas temps que je demande pardon à MM. Lachambau-
die, Mazelle et Lechapt de ne pas m'être encore occupé de leurs
fables ? C'est bien à leur examen que je voulais consacrer ces
pages tout entières ; mais, en remontant pas à pas le ruisseau,
j'ai rencontré la source, et alors, comment se décider à la quitter
sans y faire une halte? et puis, à mesure que je relisais Lafon-
taine} il me semblait que, sous prétexte de bonhomie et de naï-
veté, on l'avait un peu défiguré ; sa physionomie était sortie
comme émoussée et affadie des mains de l'ancienne critique qui
n'en voyait que le côté naïf. Cependant, la naïveté appartient
moins, pour ainsi parler, à Lafontaine qu'au XVIe siècle ; c'est
Vhumour de la vieille France qu'il sut dérober et s'approprier,
et, dans son entreprise, il fut bien servi par sa vocation ; mais
vouloir faire de cette chose si fugitive qu'on appelle naïveté, l'at-
trait principal des fables de Lafontaine et surtout l'imposer
comme condition du genre, c'est pousser loin la légomanie lit-
téraire, on en conviendra ; c'est prendre le duvet du fruit pour
le fruit même. La naïveté ! essayez donc de la définir ! ceux qui
l'ont tenté, comme Marmontel, sont tombés dans des subtilités
phraséologiques dignes de pitié ; on a de la naïveté comme on a
de la pudeur, sans le savoir; elle implique avant tout l'ignorance
dans celui qui la possède, et cette ignorance fait sa grâce.
   La critique moderne vint plus tard constater .chez Lafontaine
le goût de la nature, une manière particulière de la sentir, et
insister sur le tour rêveur et mélancolique de son esprit ; elle eut
grandement raison ; il est, en effet, le seul écrivain qui, de son
temps, ait étudié la nature face à face, sans l'intermédiaire des
livres ; toutefois, ces éléments réunis ne nous donneront pas
encore le vrai Lafontaine, il faut y reconnaître de plus cette per-
sonnalité si vigoureuse, si nette, si positive ; cette logique qui va
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