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DE L'ESPRIT DE LAFONTAINE. 415 e Le disciple de Gassendi, de Rabelais, et de tout le XVI siècle était trop réaliste pour ne pas être un peu épicurien ; le côté fa- cile et même un peu grivois ne déplaisait pas au dernier héritier de nos vieux trouvères, de nos vieux fabliers. On a si souvent parlé du sentiment de la nature chez Lafon- taine que j'aurais mauvaise grâce à y revenir, qu'on me pardonne pourtant une courte citation qui me servira à éclaircir ma pensée. Il dit quelque part : Là croissaient à loisir l'oseille et la laitue, De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet, ce dernier trait me semble exprimer l'essence même du génie de Lafontaine ; un poète de notre temps se serait épuisé à peindre laborieusement la fleur feuille à feuille, nuance à nuance ; La- fontaine voit de suite son rapport avec l'homme, et c'est de là qu'il tire son effet poétique, et c'est pourquoi aussi sa poésie est toujours si vivante, si humaine. Il excelle dans les détails, sans doute, mais ces détails, si gracieux qu'ils soient, nous touche- raient bien moins s'ils n'étaient pas comme autant de facettes où l'imagé de l'homme se réfléchit constamment. L'homme remplit tout ce petit monde et ce petit monde ne se meut que pour lui. Mesurez maintenant la distance qui sépare l'ode du drame et vous comprendrez quelle différence existe entre l'a- pologue primitif et les fables de Lafontaine. Essayons encore de faire toucher du doigt par un exemple cette qualité dominante chez Lafontaine et qui est, à proprement parler, la clef de son esprit ; on connaît sa fable du bûcheron. Un autre poète fort à la mode aujourd'hui a aussi fait son bû- cheron ; c'est M. Dupont, notre compatriote, l'auteur des Bœufs, de la Mère Jeanne, le seul poète, — fortune unique ! — dont le peuple ait retenu le nom depuis Berenger. Eh bien ! M. Dupont qui vise au réalisme autant par goût que pour répondre aux tendances de son parterre, car il s'adresse surtout à la chau- mière et à l'atelier où les chimères n'ont pas cours, M. Dupont n'a guère peint qu'un bûcheron d'idylle, un bûcheron digne de Gesner, un Daphnis portant par hasard une hache au lieu d'une