Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
486                        DES LIMITES
tout système où, sous un prétexte quelconque de justice, d'éga-
lité, de perfection sociale, l'individu est sacrifié à l'Etat, et la
personnalité à la communauté. L'année dernière, pour tempérer
cette fièvre ardente de droits vrais ou faux qui, lorsqu'elle trans-
porte les esprits, les pousse si souvent à l'oubli du devoir et au
mépris du droit des autres, j'ai traité de la Corrélation du Devoir
et du Droit et des limites du Droit. J'ai voulu remettre en lumière
que le droit est dans la dépendance du devoir, que tout droit sé-
paré du devoir qui le fonde et du droit d'autrui qui le limite, n'est
plus qu'une vaine et dangereuse abstraction. Aujourd'hui, dans
une même pensée, je vous signalerai l'abus que font certaines
utopies sociales de l'idée si vraie en elle-même, si religieuse et si
consolante de la perfectibilité. Que de chimères ont été bâties, de
nos jours, sur son fondement! N'est-ce pas en son nom qu'ont
été sérieusement débitées à la multitude les annonces d'un nou-
vel âge d'or non moins fabuleux que l'âge d'or des premiers
jours, chanté par les poètes? Mais, autant étaient innocentes les
poétiques et riantes descriptions des ruisseaux de lait et de miel
du règne de Saturne, autant il y a de danger dans ces prédic-
tions de la métamorphose prochaine du travail en plaisir, et de
la vie en une fête sans fin et sans nuage, par lesquelles des rê-
veurs sincères, ou des ambitieux sans scrupule abusent la multi-
 tude et cherchent à capter les suffrages.
   En quel dégoût ne prendra-t-il pas le temps présent, celui
dont l'imagination est exaltée par la vision d'un paradis sur
terre ? En vue de la terre promise, comment lui persuader de
rester plus longtemps dans le désert ? Quelle ne sera pas sa
haine contre tout ce qu'il croit lui en barrer la route, et contre
la société actuelle tout entière ? Pour hâter de quelques mois, ou
même de quelques jours, une telle conquête, il n'hésitera pas à
tout détruire, à tout frapper, semblable à ces fanatiques serviteurs
du Vieux de la Montagne, qui couraient au-devant d'une mort
assurée, pour entrer plus tôt en jouissance de ce monde en-
chanté qu'on leur avait fait apparaître en songe, au travers des
 vapeurs d'une perfide ivresse.
   11 importe donc de détruire un des fondements sur lesquels ces