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DE L'UNITÉ DES ARTS. 897 entre eux, ni s'altérer la loi de l'art primitif, né au sein de sa reli- gion immobile sur les confins du naturalisme asiatique et de l'humanisme occidental. L'architecture reste en Egypte l'art dominateur ; elle règne so- litairement , et garde tous les autres arts enveloppés dans la syn- thèse génératrice ; la sculpture et la peinture ne s'exercent que sur ses constructions massives. Les statues ne se hasardent, hors de l'enceinte sacrée, que comme un appendice du temple. Sur les parois intérieures des spéos ou sur les faces des pylônes, les fi- gures coloriées ne s'étalent que comme les lettres d'une écriture plus matérielle qui retrace sur ces pages de granit les exploits des souverains ou les actions des dieux. Il y a plus, la parole qui s'é- levait dans ces sanctuaires ne s'est jamais fait entendre au dehors; les accents de la poésie liturgique qui accompagnaient les rites du culte ne retentissaient que comme la voix même du temple ; ces hymnes n'ont laissé d'échos nulle part en dehors des édifices sacrés. Quand l'âme s'est retirée de ces monuments avec la reli- gion qui les avait enfantés, l'Egypte tout entière est restée muette. A part les chants sacrés qui exprimaient les diverses péripéties des drames du sacrifice et de l'initiation, poèmes qui n'ont jamais été confiés aux mémoires profanes et qui s'effacent aujourd'hui avec les peintures et les bas-reliefs des cavernes mystiques, à part ces hymnes récités dans les temples, l'Egypte n'a pas eu de poésie. Jamais la poésie n'a constitué chez elle une fonction, un art indépendant du ministère sacerdotal. Ce pays n'a jamais eu de libres chanteurs, de dramaturges laïques ; aucun indice de la parole égyptienne ne subsiste qui ne soit sorti de la bouche d'un prêtre ; et cette parole, cette poésie est restée adhérente à l'ar- chitecture. Nous connaissons un Homère, un Euripide indiens, le Gange a son Iliade comme le Simoïs, épopée monstrueuse à côté de l'épopée grecque, comme le fleuve à côté du ruisseau ; l'Egypte n'a pas eu son Homère, pas même son Orphée. L'Orphée de l'Egypte a silencieusement érigé des temples et des tombeaux, et le bruit de ses hymnes n'en a jamais franchi l'enceinte. Ainsi, en Egypte, peinture , sculpture , poésie , musique , philosophie même, l'architecture absorbe tout, elle tient lieu de tous les