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CONSTANTIN LE BRACONNIER. 339 contait ses embarras de famille. Il avait élevé à la garde de Dieu trois grandes filles, belles comme des fées, trois perles de grâce et de fraîcheur ; bien que vivant au fond des bois, elles n'y étaient pas très-cachées ; leurs charmes attiraient de nombreux admira- teurs. La coquetterie de ces trois séduisantes personnes donnait à leur père bien de l'inquiétude et du chagrin. Malgré de petits écarts, moins remarqués que partout ailleurs, au milieu des mœurs ingénues de la Bresse, les deux ainées fi- nirent par se marier. La plus âgée épousa le garde même des Fxhets, puissante protection pour Constantin ; Marie, la seconde, la plus belle des trois, fit la conquête d'un brave Bugiste assez à son aise. Le père était tout fier de cette alliance et me disait avec un certain orgueil : « Mon gendre ! il marche tout de suite après les bourgeois ! > > Cette union aristocratique ne fut pas heureuse. Les manières élégantes et les allures parisiennes de la jeune femme inquiétèrent son mari ; il y eut de fréquents orages à la maison ; le rustique montagnard, pour raisonner sa fringante moitié, employa des arguments trop sévères, et, avant la fin de la lune de miel, Marie revint trouver son père, vive et coquette comme avant, lui bon et indulgent comme toujours. De mauvaises récoltes et l'établissement de ses filles avaient obéré Constantin, il était souvent serré d'assez près, et forcé de souscrire à ses créanciers des billets, acceptés faute de mieux. Sa signature une fois donnée, Constantin se regardait comme tout- à -fait libéré, tant il y attachait de haute valeur ; malheureuse- ment, bien peu de gens en avaient la même opinion ; de là des tiraillements et des poursuites désagréables. Cette petite guerre incessante, cette existence tourmentée avaient fini par le rendre assez habile, et ordinairement il se tirait d'affaire par de légers à -comptes, ou en renouvelant ces fameux billets. Son expérience dans ce genre d'escarmouche lui avait appris à connnaître ses adversaires ; aussi ne voulut-il jamais affronter le papier jaune du percepteur. Plutôt que d'accepter la charge des contributions, il refusa net de renouveler le bail de sa ferme, quoique à des conditions assez avantageuses pour lui. « Payer les impôts !