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338 CONSTANTIN LE BRACONNIER. Pour faire le badinage, il faut un ou deux chiens d'une robe fauve comme celle du renard ; car, on prétend que c'est de leur ressemblance avec ce maraudeur que dépend tout le succès de la manœuvre. Il faut que ces chiens soient bien dressés à croiser sur un simple signe, et ne s'emportent jamais en courant sur le gibier qui leur demeure toujours en vue. Quand il aperçoit une volée, à distance convenable, le chasseur s'arme de genouillères en cuir, prend son grand fusil de bateau, chargé de plombs gros comme des pois ; puis, il se couche à terre, et se met à ramper vers l'étang, en suivant une ligne oblique et en profitant autant que possible des accidents du ter- rain ou des grandes herbes, pour être moins en évidence. A me- sure qu'il avance, il fait continuellement croiser ses chiens, à droite et à gauche, devant et derrière lui, en leur lançant de petits morceaux de gaufres, découpées à cet effet, et dont sa gi- becière est toujours garnie. Il arrive près du bord, lentement et sans bruit : pendant ce temps, les gros canards au col vert, les sonnards qui brillent au soleil comme des bronzesflorentins,les beaux mions dont la tête semble une houppe de velours, les élégantes sarcelles, tous les sauvages et méfiants oiseaux qui peuplent les étangs, trompés par la couleur des chiens, suivent curieusement leurs évolutions, sans s'effrayer de la présence de l'homme. Ceux même qui sont le plus éloignés, attirés par cette ruse de guerre, ou se croyant en sûreté sur les eaux, accourent à la nage, en jargonnant, comme pour se moquer de l'ennemi. Alors, quand le chasseur est à bonne portée, il vise à son aise au plus épais de la troupe, et tue souvent plus de vingt pièces à la fois. Comme on le voit, cette chasse exige trop de peine et manque trop de noblesse pour convenir à de véritables amateurs ; mais elle est lucrative pour les braconniers qui n'y regardent pas de si près. L'un d'eux à ma connaissance, a, par ce moyen, et dans un seul hiver, abattu plus de trois mille canards. Pendant nos haltes ou les longues marches du retour, Constantin me parlait de ses affaires, ordinairement assez gênées, ou me ra-