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336 CONSTANTIN LE BRACONNIER. dans nos carniers ! et cependant, ces indignes îusils-tromblons, si fort à la mode, n'étaient pas encore inventés ! N'en déplaise aux jeunes amateurs lyonnais, et sans déprécier leur habileté, nous nous contentions de tirer droit : pour abattre le gibier, nous comptions sur notre coup-d'œil et sur notre adresse, et non sur une poignée de mitraille qui couvrirait la porte de l'Hôtel-de-Ville. D'intrépides vétérans, les G..., les FY. B.., lesB..., lesC. T..., ont conservé le feu sacré ; ils représentent noblement cette belle époque, et brillent encore parmi les nouvelles illustrations. Tout au bord du marais , à côté du domaine de Polsinge, Constantin cultivait tant bien que mal une petite ferme dont il payait le loyer, comme il plaisait à Dieu et suivant les hasards de l'année. C'était un homme grand, sec, osseux. Sa figure por- tait ce caractère de bonhomie narquoise, de ruse naïve, familier au paysan de la Bresse. Dur à la peine, sobre et réservé, jamais la fatigue ou le mauvais temps n'ébranlèrent sa patience ou l'é- galité de son humeur. Rien, dans ses manières, ne ressemblait aux grossières allures ou à l'avidité de ses confrères ; loin de là , son insouciance et son désintéressement, malgré sa gêne habi- tuelle, l'empêchèrent toujours de tirer un parti convenable de ses belles et nombreuses relations avec les chasseurs de la ville. Au modeste revenu de sa culture, Constantin joignait celui de sa chasse et de l'éducation des chiens de quelques amateurs. Sa mémoire était trop ingrate pour retenir les noms plus ou moins bizarres de ses écoliers ; il trouvait plus commode de les désigner par ceux de leurs propriétaires, et amenait ainsi quel- quefois, sans s'en douter, d'assez amusants calembourgs : M... était intrigant, P... donnait sur la volaille, C... était un fainéant, ainsi de suite. Pour ouvrir l'intelligence de ses malheureux élèves, il avait pour principe de les soumettre à une diète pres- qu'absolue ; et, comme je me récriais un jour sur l'effrayante maigreur de ses pensionnaires : « Ah bah ! me dit-il, on me les « envoie si gras, si gras, qu'ils ne peuvent pas travailler : il fau « bien que je les mette en haleine ; et, lorsqu'ils commencent à « mordre à l'oignon, alors il est temps de les nourrir. »