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120 M. A.-C.-H. TR1M0LET. Ainsi se termina cette visite, objet de tant de craintes, et pour laquelle j'avais inutilement construit de si belles phrases la nuit précédente. La royauté, quoi qu'on en dise, nous impressionne ! Elle ne l'ignore pas, et sait aussi descendre jusqu'à nous pour nous mettre à Taise. Tandis qu'un homme de finance ou un riche et sot marchand attend, d'un air qu'il croit digne, qu'on s'abaisse à le flatter, les rois ne vous en laissent pas le temps, et, par leurs bienveillantes et bonnes paroles, vous élèvent et vous grandissent!... Convenons que les sentiments généreux et délicats sont pres- que toujours l'apanage de la légitimité, de la noblesse et du vrai mérite, et se rencontrent bien rarement chez les parvenus de toutes les classes ; pourrait-il en être autrement, puisque sou- vent le piédestal qui les élève à nos yeux n'est qu'un tas d'or- dures, de calculs, de lésineries et de fraudes. Malheureusement pour l'artiste, la première de ces elasses- s'efface de jour en jour et se remplace par la dernière ; aussi, l'art se rapetisse, se fait meublant et se donne au rabais. On pourrait me demander si j'ai eu à me plaindre de ees gens à qui je me complais de donner un coup de griffe en passant? Je répondrai que personnellement non, grâce au système que j'ai adopté, qui est de me priver de tout, de vivre même dans la pauvreté, plutôt que de rabaisser la dignité de l'artiste... Il ne faut pas que l'on connaisse nos besoins ; car alors, ces gens sans cœur ni entrailles dont j'ai parlé nous exploitent et nous méprisent ; et, au contraire, s'ils nous croient riches, ils nous honorent, envient nos ouvrages, et les payent fort cher !... Je me rappelle qu'un jour, faisant le portrait de M. ***, espèce d'imbécille orgueilleux, il ne cessait de me dire : Vous prenez, trop cher ? Vous devez bien gagner ? Ah ça ! faites-moi bien res- semblant, car je vous avertis que si mon portrait ne l'était pas, je vous le laisserais pour votre compte ! Ah ! Monsieur, vous ne pourriez me faire un plus grand plaisir, je vous assure ! Et pour- quoi cela? — Pardieu ! vous le voyez, je n'ai point de mes ou- vrages chez moi, et lorsqu'on me demande à en voir, je n'ai rien