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khG 1)0 GÉNIE LITTÉRAIRE celle énergique réalité qui saisit, qui fait paraître une expres- sion vivante, et dont la forme poétique a besoin, pour être autre chose qu'une formule inanimée. La véritable aptitude de la langue française est pour la prose, pour l'éloquence. On s'étonnera peut-être de ce que nous employons indifférement le mot de prose et celui d'élo- quence pour désigner cetlemaniôre d'exprimer la pensée qui est autre que la poésie, c'est que l'éloquence est l'état le plus élevé, la plus haute puissance de la prose. Cette distinction n'exclut point l'idée que la poésie peut se manifester autre- ment que par les vers, et que la prose s'empare souvent du rhylhme plus particulier à la poésie. Toujours est-il qu'il existe une différence radicale, une différence de fond et non pas seulement de forme entre la poésie et la prose que nous appelons aussi l'éloquence. L'éloquence diffère de la poésie par le but, par la source, par les moyens. La poésie habite une sphère contemplative, elle s'inspire du monde invisible, son but immédiat est en dehors de la pratique; si elle renouvelle, si elle fortifie en nous la puissance d'action , c'est parce qu'elle augmente dans notre cœur l'intensité de l'élément divin qui est la vie de l'âme ; ce qu'elle cherche d'abord à donner à l'homme, c'est une révélation de l'infini, c'est le sentiment de l'idéal; tout le reste, c'est-à -dire l'idée applicable, la résolution active, tout ce qui lient à l'ordre du fini, tout cela d'après la parole de l'Évangile ne dérive d'elle que par surcroît. Au contraire, la source de l'éloquence est clans l'homme lui-même, dans sa volonté, dans ses passions; l'éloquence a pour but l'action, c'est-à -dire quelque chose de déterminé, de positif, de fini. La liberté humaine s'exerce dans le monde de l'action et non pas dans celui de l'idée pure. Aussi l'élo- quence relève plus de. la volonté, la poésie plus de l'inspi- ration.