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LES FEMMES MARSEILLAISES. 401 voulut pas le laisser voir. Louis XIV pensait comnîe Mahomet : Mon empire est détruit, si l'homme est reconnu. Cependant, le jeune roi ne savait pas encore tout ce qu'il vou- lait savoir et craignait que la conversation n'en restât là , il reprit négligemment, en caressant les dentelles de son pourpoint.- — Vous dites donc, Messieurs, que la chaste Diane a quitté le ciel et qu'aujourd'hui elle habite Marseille.... — Rue des Isnards, en face de la fontaine, reprit un gentil- homme, qui avait deviné l'intention interrogative des dernières paroles du roi. — Je ne vous demandais pas l'adresse de cette fille, inter- rompit le roi d'un ton sévère. Ce sont là des passe-temps d'officiers en garnison ou de désœuvrés. A vous les plaisirs, Messieurs les gentilshommes ; au roi les affaires. Et, regardante la pendule, neuf heures! dit le roi... Adieu, Messieurs, je vais passer dans mon cabinet, où M. le cardinal doit se rendre pour l'expédition de plusieurs dépêches impor- tantes. Louis XIV venait d'apprendre tout ce que, dans son ima- gination de jeune homme, ardente et voluptueuse, il cherchait à savoir ; il reprenait le rôle de monarque qu'il jouait déjà très- bien. A quelques jours de là , la chronique de la ville disait que l'on avait remarqué un jeune et élégant cavalier, rôdant le soir auprès de la maison où demeurait la belle Regaillette. Et la chronique de la cour disait, de son côté, que le ro Louis XIV, depuis quelques jours, quittait régulièrement le conseil, le ministre et les dépêches importantes pour de mystérieuses promenades dans le quartier de la rue des Isnards. Ce jeune et élégant cavalier était-ce Louis XIV ? je l'ignore ; mais ce que je sais, c'est que l'innocence et les grâces de la belle Regaillette avaient fait faire à la passion de l'inconnu, simple cavalier ou grand prince, une de ces gigantesques enjambées qui placent les amoureux ordinaires ou extraordinaires dans cette alternative du triomphe ou du ridicule. 26