page suivante »
402 LES FEMMES MARSEILLAISES. La pauvre fille qui n'aurait pas permis au plus candide amant de l'embrasser, même en songe, avait vu arriver jusqu'à elle vingt messages galants, accompagnés de fleurs, de présents magnifi- ques et de déclarations en forme. C'était une représentation exacte du Calife de Bagdad. Il n'y manquait rien, pas môme le mystérieux il bondo Cali ! Si bien que l'âme virginale de Regaillette en fut vivement alar- mée, car, voyez-vous, sa pureté, à Regaillette, c'était son unique bien, sa seule dot, son seul espoir de mariage, et si, dans sa naïveté charmante, la jeune fille avait mis encore quelques chances de fortune dans cette chevelure d'ébène qu'elle parfumait tous les ma- tins, dans ce regard si tendre, dans cette taille qui restait si souple et si amoureuse, malgré la raideur d'un corset, c'était à la con- dition d'être sage. Un jour, c'était, dit la belle enfant, dans ses rêveries solitaires, un jour il se rencontrera celui que je désire sans le connaître, et à qui le ciel m'a prédestinée, car on a beau faire, les âmes n'ont pas été faites isolées et séparément, mais deux à deux accouplées, moulées l'une pour l'autre. Ame de mon mon âme que le ciel te guide vers moi !... Tout en soupirant après cette âme sœur, Regaillette redoutait de tomber sur une autre, comme cela est arrivé à beaucoup de jeunes filles. C'est pourquoi celle-ci pensa qu'il était prudent de se soustraire à des galanteries qui devenaient terriblement en- treprenantes. En fille vertueuse, elle confia ses inquiétudes à son père. Le père, honnête provençal, jugea l'affaire assez grave pour en délibérer dans une assemblée de famille. Là , il fut décidé que, pendant tout le temps que la cour resterait à Marseille, on tiendrait la belle Regaillette renfermée dans un tonneau (1). Les bonnes gens ne se doutaient guère qu'ils avaient eu là une idée anacréontique : L'amour dans un tonneau ! Çi) La mesure prise par les parents de Regaillette passa en proverbe, et aujourd'hui encore à Marseille le peuple dit en parlant des jeunes filles que l'on surveille avec une grande sévérité : « Âqni la belo Hegaillelto : Voilà la belle Regaillette.