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DE FAIRE FAIRE SON PORTRAIT. 475 depuis longtemps. Ils croiront, sans qu'on puisse les en dissua- der, que l'artiste insulte à leurs souvenirs, et leur amour- propre ira jusqu'à s'indigner de ce qu'il calomnie ainsi l'âge peu avancé où ils sont parvenus eux-mêmes sans rides et sans cheveux blancs. Puis, on n'aime guère à se voir tel que l'on fut jadis; un portrait est souvent la source de bien des réflexions amères; le temps détruit le coloris que l'huile conserva ; il enlève les formes arrondies que traça le pinceau; on se trouve avec des cheveux blancs ou coiffés d'une perruque devant les boucles ondoyantes de son adolescence ; on dresse avec peine un in- ventaire où les boni sont impossibles et les déficit bien nom- breux ; où des grâces sont remplacées par des rides; où les fossettes des joues sont devenues des crevasses. Votre jeunesse, qui a jeté l'ancre sur la toile, a l'air de se moquer de votre caducité qui est venue à tire d'ailes ; tout cela est triste comme une élégie grave et pleine de mélancolie. D'ailleurs, quel est, en définitive, le sort de nos portraits, si parfaits qu'ils soient? Prônés à leur naissance, la géné- ration qui nous talonne y attache peu de prix, celle qui la suit, moins encore ; si bien que nos figures ignorées de notre troisième génération (pour le plus), sont arrachées du clou qui les tenait suspendues et disparaissent pour faire place à celles de nos descendants. Déportés dans une chambre haute, solitude poudreuse, véritable exil, nous n'y recevons la visite que des mouches, des araignées et des rats; pour dernier affront, on nous exile dans les bois... de chauffage du grenier, où notre sourire voilé par des fascines fait mal aux âmes sensibles qui nous découvrent ainsi logés ; à moins toutefois, que protégés par la touche ou le coloris d'un grand peintre, nous ayons conservé quelque valeur intrinsèque. Alors, vendus aux juifs de la contrée, nous égayons de notre physionomie la devan-