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474 DÉSAGRÉMENT —Ma foi ! s'écriera l'autre, ou lu prenais du lait d'ânesse, ou le peintre fut un âne quand il le donnait un si beau coloris. — On fa rajeuni au moins de douze ans, dira le moins facétieux, avec un sang-froid féroce. Et vous rougissez quand un honnête assistant, moins connu de vous, croyant adoucir l'amertume de toutes ces pilules, psalmodiera, avec un accent de profonde commiséra- tion : Monsieur a sans doute longtemps souffert depuis que son portrait a été fait. Et cependant la peinture vient d'être achevée, et votre santé ne fut jamais meilleure! Quelquefois, au contraire, l'artiste a fidèlement retracé votre figure, mais il l'a rendue avec une vérité déplorable, poussant à l'ocre un teint qui n'était que bistre, rapetissant vos yeux, grandissant votre bouche, aplatissant votre nez: oh! alors ne craignez rien ; on vous reconnaîtra tout d'abord; on vous lapidera de compliments sur votre parfaite ressem- blance. C'est bien ça\ en tendrez-vous retentir de toutes parts; voilà bien votre expression habituelle, et tous les éloges donnés à l'artiste tomberont comme plomb sur votre amour- propre. Si quelque bon humain, témoin de votre martyre, s'avise de vouloir l'adoucir en disant que vous riêtes pas flatté, des critiques, amis du peintre, plus jaloux de sou- tenir .son talent que de courtiser vos prétentions, se re- crieront sur l'injustice de ce reproche, et démontreront avec feu que vous êtes bien réellement aussi laid qu'il vous a représenté. Quand des maux, des chagrins, et, pardessus tout, la pensée devançant l'outrage des ans, ont labouré votre figure et sillonné votre front, si le peintre croit devoir rendre exac- tement ces stigmates d'une précoce vieillesse, i! soulèvera contre vous et lui les répugnances, non seulement de vos parents, mais encore des camarades de votre enfance et des amis de votre jeunesse, surtout si ceux-ci ne vous ont pas vu