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        DÉSAGRÉMENT DE FAIRE FAIRE SON PORTRAIT.              473

chaque heure de torture qu'il vous fit subir ajoute au mon-
 tant du prix que vous devez solder.
    Mais ce n'est là que le chélif commencement des déboires
qui vous attendent. Votre portrait fini et payé, il vous tarde de
savoir comment le trouveront votre famille, vos amis, vos rela-
tions; vous le soumettez donc à leur jugement, et afin de leur
laisser tout le mérite de le reconnaître, vous ne leur dites pas :
voilà mon portrait, mais : comment trouvez-vous ceportrait?
   Oh! que cette innocente ruse vous joue souvent de mau-
vais tours! comme vous payez cher la franchise que vous
provoquez! quelle large porte vous ouvrez à mille ingénuités
acres et poignantes !
   L'un reste une heure avant de hasarder le nom de la per-
sonne que le peintre a voulu représenter; lorsque vous êtes
là, en face de lui, cherchant à retrouver, pour la lui offrir, la
pose éternelle qui fil votre supplice et qui ne peut le tirer de
son indécision. En vain vous vous efforcez d'aider l'aristarque
qui cherche l'original de la toile comme le mot d'une énigme ;
en vain vous souriez d'un air à lui dire ! Eh! c'est moi! Le
barbare ne peut ni comprendre votre pantomime, ni r e -
connaître vos traits, et souvent au bout d'un siècle d'attente
(selon vous), il accouche d'un: ah ! parbleu, c'est Monsieur
votre frère! votre oncle, votre neveu, toule votre famille, en
un mot votre grand-père même, plutôt que vous, vous qui suez
d'angoisse et qui n'avez supporté tant de séances et déboursé
tant d'écus que pour arriver à ce déplorable résultat.
   Une autre fois, c'est une compagnie entière qui s'empare
de votre portrait et qui discute à haute voix sur son mérite.
Vous avez là des amis intimes, d'une effrayante franchise,
habitués à percer à jour votre amour-propre par l'expression
de vérités mordicantes dont ils vous assassinent en souriant.
   — Mon cher, dira l'un, on t'a horriblement flatté, tu
n'as jamais eu ces chairs, ce teint, cette finesse de coup d'œil.