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446                LETTRE A M. DE LAMARTINE
Vous vous plaisez bien plus assurément à nous dépeindre l'aube
d'un beau jour d'été, quand les premiers rayons du soleil viennent
glisser sur le visage pensif de Marie-Antoinette, à demi-appuyée sur
une fenêtre des Tuileries, et laissant son âme s'épanouir dans l'oubli
aux brises parfumées du matin, tandis que dans le lointain gronde
déjà le sourd murmure des tempêtes populaires. — Pardonnez-moi,
maître, j'avais les yeux comme voilés de sang.
    Je le sais, ce n'est point une épopée , ni un drame que vous avez
voulu faire. Si vous n'avez point songé aux sensibilités nerveuses et
fébriles comme la mienne, c'est qu'il y avait une grande leçon à don-
ner par la voix de toutes les victimes de septembre. Oui, vous avez
fait sagement de montrer à tous les bras nus et sanglants des égor-
geurs, de compter un à un chaque martyre, et de promener ensuite
les sarabandes infernales autour des cadavres amoncelés. Qu'au théâ-
tre on enlève au crime quelque chose de sa laideur, si l'art l'exige
ainsi ! « l'histoire n'a pas de ces complaisances » il faut que par elle
 le forfait soit hautement dénoncé, et dévoilé sans réserve. Je le crois
fermement avec vous, « le 10 août et les journées de septembre fu-
rent le crime de quelques uns el non celui du peuple; « mais le peu-
 ple entier n'avait-il point poussé au meurtre par ses fureurs et ses
 profanations? le peuple avait au moins laissé faire, se réservant
 d'applaudir. En le faisant repasser sur tout ce sang, vous étiez cer-
 tain de lui en inspirer une éternelle horreur. Avec vous il maudira
 les assassins. Comprenant bien que « le prestige d'une révolution est
 dans sa justice et danssa moralité» il vous bénira d'avoir séparé sa
 cause de la politiqne du meurtre ; et, fort de son droit, enuemi de
 tout excès qui met le droit eu péril, le peuple voudra que la liberté
 n'ait jamais à renier ses plus chers défenseurs. Pour les rois, pour
 les grands, quelle expérience ! l'excès de l'oppression et du mépris,
 s'il ne les justifie pas, explique au moins les représailles des opprimés.
 Enfin, les classes moyennes, averties par une salutaire frayeur, sen-
 tiront le besoin de se rapprocher de ce peuple, si terrible en ses éga-
 rements, et qui ne demande qu'à être instruit et aimé pour aimera
 son tour, et pour entrer dans les voies régulières de l'indépendance
 et de la civilisation. « Malheur aux empires quand la tête des na-
 tions ne prendpas l'initiative et la laisse prendre à l'insurrection !