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SDR SON HISTOIRE DES GIRONDINS. 447 Votre livre est tout parsemé de ces pensées frappées comme des médailles, qui circulent parmi les hommes pour l'éducation de l'intel- ligence et de la vie. A ce signe on reconnaît à la fois le philosophe et le grand écrivain. Si je vous disais que vous réunissez la naïveté poétique d'Hérodote et l'atticisme de Xénophon à la rigueur de Thucydide et à la force concentrée de Tacite, vous souririez assuré- ment, maître, de l'outrecuidance d'un pauvre penseur qui préten- drait ainsi classer les grands hommes. Tout en ayant plusieurs parties des historiens les plus fameux, vous deviez rester vous-mê- me, et avoir votre rang distinct dans le premier cycle de cette bril- lante pléiade. Mais ce que n'ont pas eu les anciens, ce qui manque encore à presque tous les historiens d'aujourd'hui, c'est l'alliance étroite, indissoluble de l'esprit du christianisme avec l'esprit de la philosophie. De tous vos litres à la mémoire des hommes, le plus beau, le plus original, ce sera, selon moi, d'avoir consacré une large part de votre vie à consolider cette union dans le monde social, après l'avoir déjà ramenée par vos vers au foyer domestique, et dans toutes les âmes saintement artistes. Si vous n'aviez pas été tout en- semble croyant et libre chercheur, auriez-vous pu pratiquer avec tant de calme la tolérance clairvoyante, également éloignée de la faiblesse et de la rigueur envenimée? auriez-vous surtout ce souci constant de la dignité humaine qui vous fait mettre en relief toute action bonne, toute pensée noble, toute parole marquée au coin du courage et de l'honnêteté ; enfin verrait-on planer sur tout votre li- vre, au-dessus du dogme terrible de l'expiation, le dogme consolateur de la rédemption de l'humanité ? Bien des histoires passeront : la votre restera, parce que chaque siècle y lira de plus en plus claire- ment sa foi et ses espérances. Toutefois, en venant pour la joie du plus grand nombre, à cause de votre esprit de justice et de charité, vous deviez vous attendre à être un objet de scandale pour les Pharisiens. Puisque j'ai com- mencé de vous confier mes impressions, souffrez que je vous dise comment il m'a été facile de vous défendre vis-à -vis de moi-même. Quand vous avez choisi tout d'abord la période de la Gironde, beaucoup de gens se persuadaient que ce devait être par une affi- nité entière de principes, et que votre livre ne serait qu'une apo-