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               SUR SON HISTOIRE DES GIRONDINS.                      445
nelles où l'existence se centuple : l'intelligence, le cœur et la vo-
lonté se déploient avec une -incomparable fécondité : heures de ré-
vélation et de prodiges, dont il est impossible de sentir aussitôt la
vertu, tant il y a d'agitation et de plénitude. Historien-philosope,
vous deviez choisir une de ces époques pour l'élever à la hauteur
d'une théorie . Vous nous avez raconté d'abord les quarante mois
de la Gironde, parce que nulle autre période n'offre plus de vertus
mêlés à plus de vices et d'atrocités, et que nulle n'est plus féconde
en solides enseignements.
    Ce qui me frappe en premier lieu, c'est l'ordonnance simple et
habile de tous ces personnages à types si divers, groupés avec un
art infini, et chacun sur le plan qui lui convient, et à sa vraie
perspective. Quelle variété et quelle harmonie ! partout un trait
hardi et net, une touche brillante, vigoureuse et délicate tout à la
fois. Et puis dans ce tableau, comme tout vit et se meut ! votre souf-
fle nous emporte aux tribunes de l'assemblée, au milieu du tumulte
des clubs : qui ne vous suivrait, le cœur palpitant, sur la longue
route de Varennes ? aux Tuileries, durant le défilé fantastique de la
populace du 29 juin, où l'œil aperçoit déjà les sicaires du 10 août?
qui n'a souffert, en vous lisant, toute l'agonie de la royale famille
dans la loge étouffante du logographe ? — Sur vos pas on vole à la
frontière où Dumouriez organise la résistance et la victoire, et l'on
revient s'enfermer au Temple. Là du moins, il va peut-être y avoir
un instant de trêve et de calme? le tocsin s'ébranle : c'est le 2 sep-
tembre. Quels cris dans les prisons ! que de sang ! le frisson m'a sai-
si ; j'ai senti sur mon corps les égorgeurs : j'ai crié avec les milliers
de victimes. Maître, vous êtes un grand peintre. Mais de grâce, tra-
versons en toute hâte ces mares de sang et de boue où la liberté fail-
 lit disparaître à jamais. — Si j'osais, je vous demanderais pour-
quoi vous avez mis en pleine lumière toutes ces scènes de carnage ?
n'auraient-elles pas dû rester sur un arrière plan , et se perdre
 dans l'ombre ? le cœur se brise par de pareilles émotions ; et d'ail-
leurs l'effet de ces tableaux n'est-il pas de réveiller les passions basses
et farouches ? « Le sang altère et n'assouvit pas » c'est vous-même #
qui l'avez écrit — et cependant vous êtes un homme de haute rai-
 son, de mœurs pleines de mansuétude, et poète d'un goût exquis.