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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 365 vaut le vieillard et tordant avec désespoir ses bras autour de sa tête : —Père, s'ôcrie-t-elle, ce soir à la tombée de la nuit, un homme de la montagne, un Sarde, un brigand comme nous, a vendu ses frères au commandant des chevaux-lé- gers; demain, cette nuit peut-être, les soldats, guidés par le traître, vont venir nous surprendre dans notre retraite inacces- sible; cet homme, je le connais. — Et tu ne l'as pas tué? s'écria le vieillard en bondissant sur ses pieds. —Ah! vous venez de le juger mon père, le traître périra, et demain je serai veuve, et demain vous n'aurez plus de fils, car cet homme est Mo- rigedou.—Ace nom, le vieillard resta anéanti, sa tête s'affaissa sur sa poitrine, sa bouche s'entrouvrit, sans pouvoir laisser échapper une parole, et ses deux bras retombèrent sans vie à ses côtés ; il y eut un moment de silence affreux. Soudain, un violent coup de crosse de fusil ébranla la porte.— N'ouvre pas, s'écria le vieillard ; au nom du ciel, Antonica, n'ouvre pas, et pourquoi donc? répondit froidement la jeune fille, qui laissa tomber sur son infortuné père un regard dédaigneux, je vais ouvrir!—Je le le défends, tu n'iras pas.—Et le pauvre vieil- lard se cramponnait au bras de sa fille. Antonica lutta quelque temps contre l'étreinte paternelle, puis, par un violent effort dégageant son bras des mains affaiblies qui le retenaient, elle marcha droit à la porte... » — Oh! mon Dieu que c'est beau! m'écriai-je tout a coup en atteignant le sommet de la colline. — Ce cri d'admiration qui interrompit une deuxième fois mon narrateur, m'était arraché par la magnificence du spectacle qui se déroulait sous mes yeux. Devant moi, à mes pieds, la colline était éventréejusqu'à la plaine par un large ravin, s'arrondissant en demi-cercle ; les crêtes du ravin étaient hérissées de cactus énormes et de gigantesques aloes, et couronnées sur la droite par trois sico- moresqui ombragent l'humble couvent des Capucins; à gau-