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294 VOYAGE A VIENNE.
avoir, sans doute , trop parlé. Ce pauvre vieux instru-
ment essoufflé , édenté , qui n'a presque plus de voix , je me
le représentais dans sa jeunesse, occupant la place d'honneur
vis-à -vis de l'être immense , dans l'immense salle , admiré,
fêté, caressé par les jolies petites mains de quelque fille de
Margrave , tandis que l'aïeule se récriait sur ces mondanités
qui faisaient tort à la quenouille et au rosaire. Qu'eût-elle
dit, la bonne vieille, si elle eût pu prévoir que l'instrument
pervers portait dans ses flancs la valse orageuse de notre
temps !
Bien ne manque à ce château en fait de luxe gothique,
luxe non point simulé , mais réel , des anciens jours ; la
tenture d'une chambre est composée de riches manteaux
d'épais velours cramoisi, des anciens chevaliers de la toison
d'or , manteaux qui ont couvert les plus illustres épaules de
leur temps. Les vieux vitraux coloriés, les épaisses murailles
crénelées, la haute tour de garde, les fossés pleins d'eau , la
chambre et les instruments de torture, enfin la prison sou-
terraine : tout s'y trouve , même le prisonnier !...
Je crus distinguer, en effet, dans les ténèbres d'un af-
freux cachot, une forme humaine , et bientôt je vis très-
positivement un malheureux templier chargé de chaînes,
portant encore la croix-rouge sur son manteau souillé de
brins de paille el mis en lambeaux par un long contact avec
les dalles humides. Il avait souffert bien longtemps dans
cet horrible cachot, s'il y avait été mis dans sa forte
virilité, car sa barbe blanche de vieillard pendait sur sa
poitrine. Au moment où je m'approchais, accompagné des
gens de l'empereur, il leva vers nous ses bras suppliants,
et le bruit de ses chaînes me glaça d'horreur ! L'obscurité
de la prison, les chaînes, tout ce qu'on sait des oubliettes
et des souterrains féodaux, les aventures de Templier, le
souvenir des cruautés du moyen-itge , complètent l'illusion ,