Revue du Lyonnais » série 1 - n°13 ( 1841 ) » pp.236

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Car tous nous avons été poètes , tous, à certains moments de
notre vie, nous avons éprouvé cet enivrement divin à qui il
n'a manqué qu'un langage pour se t r a d u i r e , qu'une forme
pour s'éterniser.
    Rappelez vous donc ces vagues rêveries de l'adolescence, ces
aspirations sans fin, ces émotions sans o b j e t , ces larmes in-
volontaires et douces dont vos yeux étaient lout-à-coup inon-
d é s , ces espèces d'extase, d'oubli de vous-même, où dans
votre ame s'éteignait toute haine , où votre cœur n'était plus
qu'amour, où la lumière vous semblait un sourire du ciel, le
m u r m u r e des champs un concert divin , la nature une sœur
bien-aimée; plongez à loisir dans ces souvenirs pleins de
c h a r m e s ; ressuscitez par la pensée tout un monde de jouis-
 sances et de bonheur, car c'est là un étal poétique : ce sont là
quelques-uns des symptômes qui accompagnent souvent la
poésie. Ou encore souvenez-vous de ces trop rares instants où
le dévouement a fait taire l'intérêt personnel, de cette soif de
 sacrifice, de ce bonheur de la souffrance que vous avez
éprouvé sans doute dans quelques moments de votre vie.
Mères qui m'écoutez, si quelquefois il a fallu au risque de
votre santé, de votre vie , arracher à la maladie une fille bien
a i m é e , sauver les jours d'un fils chéri, adresser à Dieu pour
lui une de ces prières que les mères font seules, rappelez-
vous, rappelez-vous ce jour : car alors vous étiez poètes.
   À dire vrai, toutes ces émotions, cet ébranlement de l'ame
sont les phénomènes sensibles qui accompagnent la poésie;
mais ce n'est pas la poésieelie-même: c'est seulement l'auréole
qui l'environne. Ce n'est pas la flamme sacrée, c'est la lumière
mystérieuse que la lampe d'albâtre épanche autour d'elle
clans le temple; c'est seulement le sillon d'ambroisie que
répandaient sur leur trace les divinités a n t i q u e s , quand
remontant aux cieux elles laissaient briller la déesse à travers
la femme, quand leur cou de rose jetait un doux éclat, et que
leur chevelure dénouée exhalait au loin un céleste parfum.
  Mais qu'est-ce que la poésie elle-même? Qu'est-ce que ce