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  noir et pelé montre ses flancs déserts -, c'est Cabrera ! Las de
  surveiller et de garder à]'bord des pontons quelques milliers
  de prisonniers français, les Espagnols les jelèrent un jour sur
  cet aride coin de terre; un bateau venait de Palma toutes les
 semaines leur apporter une chétive et insuffisante nourriture ;•
 quand le bateau contrarié par le temps ou par quelque autre
  cause tardait à arriver, des centaines de cadavres couvraient la
 plage !
      Ces prisonniers, appartenant à des régiments, à des armes
 diverses, n'avaient aucun lien qui les unît entre eux, aucune
 organisation civile ou militaire; ils se firent des espèces de
 lois; leur code ne reconnaissait qu'un délit, le vol des aliments.
 Un tribunal tiré au sort, établi pour un nombre de jours d é -
 t e r m i n é , appliquait la loi, prononçait la sentence, et l'exécu-
 tait séance tenante. Une autre commission était préposée à la
 garde des armes, c'est-à-dire, de branches de compas, de mor-
 ceaux de fer fixés au bout d'un bâton. Lorsque deux adversai-
 res voulaient en venir aux mains, et le cas était fréquent, ils
 se présentaient, accompagnés de leurs témoins, aux gardes de
l'arsenal, qui, sans avoir le droit de s'enquérir du sujet de la
querelle, leur délivrait des armes, qu'ils étaient tenus, sous
peine de mort, de restituer après le combat.
     Ces hommes, rejetés tout-à-coup hors de toute civilisation,
s'étaient fait une société qui se ressentait de la barbarie avec
laquelle on les traitait, et de l'élrangeté de leur situation; ain-
si, le même lieu qui servait à des duels, se terminant presque
toujours d'une manière fatale, se voyait métamorphosé en théâ-
tre. Des lambeaux de vêlements partageant en deux une vieil-
le citerne en ruine, servaient de rideau ; les acteurs se p r é -
sentèrent en foule, et les poètes, que la circonstance créa, ne
tardèrent pas, à l'aide de leurs souvenirs et de leur propre in-
vention, de fabriquer des comédies, tragédies, etc., etc., et les
représentations eurent lieu régulièrement les jours où le b a -
teau de Palma apportait à chaque prisonnier quatre onces de
pain par jour! sombre et bizarre épisode du poème éclatant
de l'Empire l                              M"e Jane DCBUISSON.