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384 ODES ET POÈMES. prophète, le verbe qui conseille, exhorte, bénit, prêche et en- courage, le verbe sybillin. De là , dans la forme une ampleur solennelle, et dans la marche du rhytme une allure majes- tueuse, mais aisée, égale, mais puissante. Qui voudrait le croire? cette poésie, où règne un vaste sen- timent de l'être, exhubérante des flots de la vie universelle qu'elle recueille, amoureuse de l'infini qu'elle a pour objet de s'assimiler et de traduire, cette poésie est cependant remar- quable par la précision du contour, qualité qui n'est pas com- mune aux artistes de notre temps. Les modernes se sont, en effet, beaucoup plus préoccupés de la couleur que du dessin. Le vers de Lamartine est svelte, ondoyant, il monte comme un jet d'eau dont le panache de rosée étincelante se balance plein de grâce et prêt à s'évanouir dans l'azur et dans la lu- mière. M. de Lamartine n'a laissé aucun disciple de quelque valeur ; car la forme chez lui n'était pas le fruit d'un système, mais le résultat immédiat de sa spontanéité lyrique, et nul n'a pu se flatter de retrouver les élans de cette intarrissable spon- tanéité. Le vers de M. Hugo, au contraire, a fait école; c'est le vers admiré des artistes, son éclat séduit, il est superbe- ment barriolé comme un blason, solide comme une armure forgée sur l'enclume, ses arrêtes sont vives, mais l'arrête a chassé la ligne, cette gloire de l'art grec. M. de Laprade cher- che moins le relief que la pureté des lignes, le contraste des couleurs que leur harmonie ; il s'était donné pour tâche de pétrir les éléments les plus vagues, les plus rebelles à la plas- tique , les notions métaphysiques, le sentiment de l'infini et de la vie universelle, et à toute cette matière fluide etindis- ciplinable il a imprimé la ferme beauté de la statuaire athé- nienne. Le vers de M. de Laprade est souple dans sa gravité ; il se déroule librement et sans raideur. Nous insistons sur ce mé- rite, parce qu'il nous semble qu'aujourd'hui les poètes, à force I