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232                       L'ABBÉ PEKUIN.

prierez pour moi... Puis, le dragon, d'une voix brisée par la dou-
leur, reprit : Votre absolution,s'il vous plaît, mon père.
   — Vous ne vous battrez pas, mon ami, vous ne mourrez pas, dit
le bon prêtre, on vous prêtera ce qui vous manque.
   — Jamais, mon père, j'ai trop d'honneur pour emprunter ce que
je ne pourrais pas rendre... Votre bénédiction, mon père.
   Le bon abbé Perrin était ému jusqu'aux larmes. Dans sa longue
carrière d'aumônier des prisons et de prêtre, il n'avait jamais trouvé
tant de délicatesse et de sentiments chrétiens, et puis la sainte ré-
signation de ce brave et beau jeune homme qui demandait une bé-
nédiction pour mourir en paix le soir lui faisait mal : Il fouilla
son escarcelle, et comme il venait par hasard de recevoir son tri-
mestre, il en détacha cinq pièces de cent sous et il les donna au
pénitent. Le front du dragon rougit comme un homard.
   — Grand merci, mon père, dit-il, mais un soldat ne reçoit pas
l'aumône.
   Et ce ne fut qu'après de longues et vives résistances, que l'abbé
Perrin parvint à faire accepter ses viugt-cinq francs au fier dragon,
qui ne les prit toutefois qu'à la condition de les rendre au premier
jour. Il allait, d'ailleurs, écrire de suite à son oncle de Carcas-
sonne, M. l'abbé Chopin, qui lui enverrait par la malle-poste
de quoi remplir son engagement... Cela dit, le prêtre reprit
ses Heures interrompues, et l'honnête dragon s'en alla en paix.
L'abbé Perrin se sentit tout ce jour-là la joie au cœur, car il comp-
tait une bonne action de plus à ajouter à toutes les autres. Quant
au cœur du dragon et à sa conscience, l'histoire n'en dit rien.
  Seulement, à quelque temps de là, dans l'église d'Ainay, il y
avait encore un soldat qui avait cassé son sabre comme le dragon
de l'abbé Perrin, un soldat qui se confessait, et puis un curé qui
donnait 15 fr.
   Dans une autre commune, encore un curé qui donnait 10 francs.
   Enfin, dans une troisième commune des environs de Givors, un
vieux curé qui disait au soldat pénitent :
   — Mon enfant, si vous devez vous battre en duel, faites aiguiser
votre sabre, et puis que Dieu soit avec vous !
   C'était un rusé matois que ce curé-là, un homme d'expérience,