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60 DES PASSIONS applaudit, parce que cela plaît aux caprices de son imagi- nation ! Mais qu'est-ce donc que l'imagination d'une société? L'état de cette imagination ne tient-il pas à l'état même de cette société, comme dans l'individu il tient à l'orga- nisation ? Et pourquoi donc cette imagination a—t—elle été tout-à -coup telle qu'on ne la vit point dans les siècles passés? Il en est des nations comme des individus (ceci n'est pas nouveau) ; or, dans un homme, l'imagination ne prend pas tout à coup des goûts et des besoins inaccoutumés, sans qu'un changement profond se soit fait en lui. La littérature moderne est une révolution dans l'art, elle marque l'ère d'un nouveau règne, comme notre révolution fut l'aurore d'une société nouvelle. Ni l'une ni l'autre n'a été tout ce qu'elle aurait pu être, mais elles ont apporté l'une et l'autre dans le monde des idées immortelles ; et toute œuvre littéraire ou politique où on ne les retrouvera pas, est condamnée à un succès de coterie ou de réaction, ce qui est bien plus triste qu'une chute. Pascal disait au début de ses Pensées : « Le respect que l'on porte à l'antiquité est aujourd'hui à tel point dans les matières où il devrait avoir le moins de force, que l'on se fait des oracles de toutes ses pensées, et que l'on ne peut plus avancer de nouveautés sans péril. » Le péril n'est plus aussi grand qu'au temps de Pascal. Aristote n'est plus, et les Jésuites ne sont pas encore aussi puissants qu'ils Tétaient au XVIIe siècle. Mais, pour de pieux admirateurs de l'an- tiquité (et ici mon intention n'est point de corriger un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens, parcequ'on en fait trop ), pour de pieux admirateurs de l'antiquité, tout ce qui n'est pas elle ou ne lui ressemble pas, leur cause le dégoût d'un mets étranger auquel leur palais n'est pas accoutumé ; ils rejettent avec répugnance et dédain toute création nouvelle. Peut-être M. Saint-Marc