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3 04 pouvait désirer. Rien n'empêche donc plus qu'ils nous d o n - n e n t la mesure de leur valeur et de leur autorité r é e l l e s , puisqu'ils o n t , pour interpréter leur génie si d i v e r s , les deux intelligences qui en o n t le mieux p é n é t r é jusqu'ici l'intime secret. Mais avant d'envisager ce que p e u v e n t , ce que doivent être l'un par r a p p o r t à l'autre le drame et la tragédie, avant de discuter le rôle qu'ils sont appelés à r e m p l i r , disons quelques mots de celles qui en constituent aujourd'hui l ' e x p r e s s i o n , la forme sensible p a r excellence, et qui gardent pour ainsi dire la clé de leur destinée à v e n i r ; une fois que nous saurons ce qu'est la t r a d u c t i o n , l'esprit de l'œuvre se révélera plus aisément à nos yeux. Mademoiselle Rachel a deviné d'instinctle génie a n t i q u e ; elle s'est créée sans effort la muse nouvelle de Ja tragédie. Si l'on excepte mademoiselle Maillard , qui parut au com- m e n c e m e n t du siècle, et avec laquelle l'analogie d'âge et de talent se trouve ici frappante , on ne vit peut-être jamais sur la scène vocation tragique à la fois plus déter- minée et plus précoce. Mademoiselle Rachel a su découvrir de b o n n e h e u r e , avec sa rare i n t e l l i g e n c e , tout ce qu'il y a de p r o f o n d et de hautain dans l'ame des nobles filles de la Grèce et de la vieille Rome. Les atteintes précoces du m a l h e u r , une enfance p a u v r e , a v e n t u r e u s e , délaissée, l'instinct confus d'un idéal refoulé d'abord au dedans d ' e l l e - m ê m e , lui ont aisément d o n n é la secret de ce sen- timent a m e r , de cette ironie poignante qui découlent de ses lèvres dédaigneuses. Ce que mademoiselle Rachel nous révèle s u r t o u t , c'est la passion fière, c o n t e n u e , qui couve sourdement au fond de l ' a m e , qui la r o n g e eu secret plutôt que de se t r a h i r , et qui tout-à -coup vient à faire explosion par u n c r i , par u n a c c e n t , p a r u n geste aussi imprévus que t e r r i b l e s ; parfois u n rapide r e g a r d , u n imperceptible sourire nous en laissent entrevoir l'abîme mystérieux et profond. Ce que mademoiselle Rachel e x p r i m e à m e r v e i l l e , c'est le ressentiment d'un amour t r o m p é , le mépris de la t r a h i s o n , les fureurs de la ja- l o u s i e , l'invective d'une noble colère longtemps c o m p r i - m é e , et qui à la fin se déchaîne. T o u t en elle concourt à l'effet de cette expression particulière de la passion ; son geste r a r e , discret et i m p é r i e u x , la noblesse de sa dé-