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203 tantôt lascives et dégoûtantes. Si l'on ne se sentait pas vivre, si l'on n'avait pas la certitude qu'on est sur cette terre, on se croirait à quelques joyeuses fêtes de l'enfer. Sur les places dont quelques-unes sont assez vastes et une fois que la foule s'est dissipée l'effet change et perd ce qu'il a d'ef- frayant. Je me rappelle être resté par curiosité, jusqu'à une heure très-avancée de la nuit, dans les rues, le Mardi-Gras de 183.... Le silence avait succédé au bruit, j'étais presque seul; les feux n'étaient plus que brasiers, la fumée s'était dissipée, et le ciel était découvert et semé d'étoiles. La fraî- cheur du matin qui s'approchait aidait à chasser de l'esprit les pensées sombres et pesantes. Ce n'était plus une réjouis- sance de populace presque toujours hideuse par quelque côté, mais on aurait dit que la ville avait été illuminée pour le passage de quelque troupe d'ennemis déjà bien loin. Les places ressemblaient à des bivouacs abandonnés. C'était triste mais sévère. Ce tableau me fît pardonner le premier. On brûle, en ces vingt-quatre heures, une énorme quan- tité de charbons. C'est la seule prodigalité du pays. En vérité, je ne sais plus pourquoi je vais aussi loin. Je ne voulais donner qu'un aperçu général d'une ville que j'ai habitée et que, pour être vrai, je ne regrette guère. J'ai laissé ma plume courir trop longtemps. Quand je partis de Saint-Etienne il faisait nuit. Jamais je n'avais vu la ville si belle, la longue rue dont j'ai parlé et qui la traverse d'un bout à l'autre, venait d'être éclairée au gaz. Les réverbères, placés de dislance en distance et à peu d'intervalle les unes des autres, formaient deux lignes paral- lèles de globes de feu d'une merveilleux effet. Il semblait que ce fut l'avenue d'un palais où se serait donnée une fête ma- gnifique et que l'heure était venue où tout avait cessé, le bruit de la danse, l'orchestre et les voitures qui couraient dans îa vaste allée.